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entrer dans ses calculs un certain nombre de dégrèvemens sur le thé, sur l’or et l’argent, sur les communications postales avec l’Inde et les colonies.

Un de ces dégrèvemens ne laisse même pas d’être caractéristique et de toucher quelque peu la France : c’est celui des raisins secs. Il n’y a pas bien longtemps encore on a vu nos sénateurs, nos députés, pour conquérir un droit de douane sur ces malheureux raisins secs, aller jusqu’à renverser un ministère et s’exposer à sacrifier une politique séculaire, nos relations commerciales avec l’Orient. On ne voulait rien entendre, dès qu’il s’agissait de sauver les vins de l’Aude et de l’Hérault de la concurrence des raisins de Corinthe ! M. Goschen, par une sorte d’ironie, a saisi l’occasion de réduire de plus des deux tiers les droits sur les raisins secs à leur entrée en Angleterre, et du même coup il a obtenu de la Grèce une réduction de 20, 25, jusqu’à 50 pour 100 sur les tissus, sur les lainages, sur tous les produits de l’industrie britannique à leur entrée dans les ports grecs. M. Goschen s’est un peu moqué de nous en prenant notre place. Et voilà comment les Anglais, en gens pratiques, profitent de tout, trouvant dans la puissance et l’élasticité de leurs finances les moyens d’ouvrir de nouveaux débouchés à leur commerce.

A la vérité, même en Angleterre, il y a des politiques, des financiers qui, sans être insensibles à un somptueux bilan, ne sont encore qu’à demi satisfaits des combinaisons du nouveau budget. Ils auraient préféré qu’on profitât d’une belle situation financière pour procéder largement et réaliser de plus grandes réformes en supprimant complètement, par exemple, l’impôt sur le thé, ou en réduisant l’income-tax. M. Gladstone aurait peut-être agi ainsi. M. Gladstone est l’homme de toutes les audaces. M. Goschen, au risque de paraître moins hardi et de ne pas contenter tout le monde, a préféré s’en tenir à des réformes plus modestes, à des dégrèvemens partiels, sans toucher au grand ressort des finances britanniques. Quel est le meilleur système ? C’est une question à débattre entre financiers anglais. Ce qu’il y a de sûr, c’est que, si le ministère de lord Salisbury n’est pas toujours heureux dans d’autres parties de sa politique, il a du moins cette chance de présenter pour sa défense un budget solide et sincère, qui ne cache dans ses replis ni dépenses inavouées, ni emprunts déguisés, ni décevans artifices. Quoique certainement très compliqué, ce budget, œuvre de M. Goschen, est en même temps assez simple pour saisir l’opinion, pour inspirer à l’Angleterre une confiance tranquille dans la puissance et la prudente administration de ses ressources. On ne peut pas en dire autant partout en Europe ; il y a des pays qui ne réduisent pas leur dette et n’ont pas 80 millions de superflu dans leur budget !

Ce n’est point assurément par les finances que brillent des pays