Les Anglais ont l’œil partout, parce que sur tous les points du globe ils voient un intérêt britannique. L’Angleterre, comme d’autres, a aussi chez elle ses crises du travail, ses agitations socialistes, ses fermentations, ses revendications ouvrières, et elle aura demain comme la France, comme l’Allemagne, comme l’Autriche, ses manifestations, son chômage du 1er mai. Elle a de plus, enfin, ce que d’autres n’ont pas, son éternel embarras d’Irlande qui renaît sans cesse, qui revient en ce moment même dans le parlement à propos d’un projet sur le rachat des terres, vivement combattu par M. Parnell, par M. Gladstone, contesté ou vu avec défiance par bien des conservateurs eux-mêmes. Oui, sans doute l’Angleterre a tout cela, peut-être d’autres difficultés encore ; elle a ses conflits, ses entreprises lointaines, sa plaie irlandaise, ses luttes de partis, et pendant ce temps elle ne fait pas moins ses affaires de tous les jours avec une méthodique vigilance, sans se laisser entraîner au désordre financier. Elle vient au contraire de recevoir, au retour du parlement, des mains de son chancelier de l’échiquier, M. Goschen, un budget tout gonflé d’excédens et d’opulence, comme on n’en voit guère aujourd’hui, un budget des meilleurs temps de prospérité.
Si ce n’était l’obsession des affaires d’Irlande et le danger d’une scission de majorité à l’occasion du projet agraire qui est aujourd’hui en discussion, le ministère anglais, avec son budget, aurait fait beaucoup sans doute pour son crédit et sa popularité ; il aurait pour longtemps conjuré les mauvaises chances. M. Goschen, qui est le plus habile des chanceliers de l’échiquier après M. Gladstone, a eu la bonne fortune de pouvoir exposer aux chambres une situation financière aussi brillante que solide, en leur proposant un budget fait pour rassurer et flatter l’opinion. M. Goschen est heureux ; il a pu annoncer aux chambres que l’excédent de la dernière année a été, tout bien compté, de 80 millions de francs, et en mettant la plus stricte prudence dans ses évaluations, il a ajouté que le boni de l’année courante serait à peu près égal. Cet état florissant est dû particulièrement à l’augmentation des recettes sur les spiritueux ; si la tempérance en souffre, le trésor, d’un autre côté, y trouve son avantage. Le budget anglais, après avoir suffi à tout, notamment à des réductions considérables de la dette, reste donc avec un excédent disponible de 80 millions de francs, ou plus de 3 millions de livres sterling. Que fera-t-on de ce superflu, qui n’est, après tout, que le prix d’une prudente administration des finances publiques ? Le chancelier de l’échiquier peut se mouvoir à l’aise avec un tel budget et a une certaine liberté dans ses combinai. sons. Il propose d’affecter quelques millions à des dépenses militaires, à l’équipement des volontaires mis aux frais de l’État par un vote récent de la chambre des communes, en un mot, au développement, ou au perfectionnement de la défense nationale. D’un autre côté, il fait