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c’est la manière dont il a traité la Tolérance. Pour enlever au prince, comme on disait alors, le droit de punir l’hérétique, était-il nécessaire, était-il utile de s’en prendre à la religion même ? et en s’y attaquant, ne devait-on pas en tout cas se garder d’en atteindre le principe ? C’est ici le grand crime de Voltaire, ou si l’on aime mieux, c’est ici que nous touchons les bornes de son intelligence. « Je veux, disait-il, que mon procureur, que mon tailleur, que mes valets, que ma femme même croient en Dieu, et je m’imagine que j’en serai moins volé et moins c… » Voilà tout ce qu’il a vu dans la religion. Mais, inversement, il a vu dans l’impiété grossière une marque de force d’esprit. « Voilà les fondemens de la religion chrétienne, dit quelque part un personnage denses dialogues. Vous n’y voyez qu’un tissu de plates impostures, faites par la plus vile canaille, laquelle seule embrassa le christianisme pendant plus de cent ans. » Je pense qu’il est bon de remettre ces textes sous les yeux des lecteurs. Non-seulement Voltaire n’a pas rendu justice au christianisme, — ce qui s’expliquerait par les entraînemens de la polémique, — mais il n’a pas senti que nous sommes enveloppés du mystère et d’obscurité ; que notre intelligence se heurte, pour ainsi dire, de toutes parts à l’inconnaissable ; et qu’il y a quelque chose en nous que ne sauraient satisfaire ni la joie de vivre, ni l’orgueil de savoir.

Autant qu’il pouvait être en lui, on peut donc dire qu’il a découronné d’abord, et ensuite ravalé la pensée. Il existait avant lui une manière de penser qu’on peut bien appeler « sans critique, » mais qui n’en était pas moins haute ni. moins large : c’était la manière de Malebranche et de Spinosa, c’était celle aussi de Bossuet et de Pascal. Elle attachait la réflexion de l’homme à la méditation des intérêts éternels de l’humanité, je veux dire de ceux qui nous élèvent au-dessus de notre condition présente en transportant l’esprit dans une région supérieure. Voltaire est venu la ridiculiser. Exigera-t-on encore que nous lui en marquions notre reconnaissance ? Tout ce que les sens ne peuvent pas atteindre, il ne s’est pas contenté de le nier, il s’en est moqué, moins légèrement, moins spirituellement qu’on ne le veut bien dire, avec une ironie dont l’impertinence n’exclut pas la lourdeur. Ces mots sont un peu vifs ? Je suis donc obligé d’en justifier le choix. « Un gueux qu’on aura fait prêtre, un moine sortant des iras d’une prostituée, vient pour douze sous, revêtu d’un habit de comédien, me marmotter en une langue étrangère coque vous appelez une messe, fendre l’air en quatre avec trois doigts, se courber, se redresser, faire autant de dieux qu’il lui plaît, les boire, les manger et les rendre ensuite à son pot de chambre. » Que trouve-t-on là de spirituel ? et qui croira que ces grossièretés soient de l’homme dont le nom est devenu synonyme d’esprit ? Mais quand on en parle aujourd’hui, c’est de confiance,