Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

consent à un pareil arrangement, elle est effacée de la carte politique de l’Europe. A la vérité, le traité est rédigé dans ce but. On impose des conditions impossibles à exécuter, et on attend les prétextes de l’inexécution pour opérer de nouveaux empiétemens. Les projets des Anglais à cet égard sont fixés ; ils n’y renonceront qu’autant qu’ils verront plus de danger à jeter la France dans le désespoir et eux-mêmes dans une guerre dont ils ne sauraient prévoir la fin, qu’à suivre un système de modération et d’équité. Lord Castlereagh ne s’arrêtera jamais qu’au point où il trouvera une résistance qui le compromette. Le roi ne peut accepter ce qu’on lui propose sans donner l’exemple d’un grand suicide politique. » Poussé par une inspiration du cœur, Pozzo eut l’idée aussi hardie qu’ingénieuse de faire écrire par Louis XVIII à l’empereur de Russie une lettre solennelle qui serait communiquée aux autres alliés. Cette lettre fut concertée entre les deux souverains et rédigée par l’ambassadeur lui-même. On en conserve l’original aux archives de Saint-Pétersbourg, et l’éditeur de la correspondance en a copié le texte sur un brouillon de la main de son arrière-grand-oncle.

Elle était ainsi conçue : « Monsieur mon frère, c’est dans l’amertume de mon cœur que j’ai recours à Votre Majesté impériale pour lui exprimer avec abandon le sentiment pénible que m’a fait éprouver la lecture des propositions faites à mon ministère de la part des quatre cabinets réunis. Ce qui surtout me navre profondément et me porte à désespérer de la malheureuse France, c’est l’idée accablante que Votre Majesté, en qui je fondais mon espoir, semble avoir autorisé la communication qui m’a été adressée officiellement… Un sentiment de justice, fortifié de toute l’étendue de ma reconnaissance, m’avait, à la vérité, convaincu de l’obligation de supporter de grands sacrifices. Mais aurais-je jamais pu présumer qu’au lieu de conditions déjà assez onéreuses, il m’en serait proposé d’autres qui allient la ruine au déshonneur ? .. Non, sire, je ne saurais encore me persuader que votre opinion soit irrévocable. S’il en était autrement, si j’avais le malheur de m’abuser, si la France n’avait plus à espérer la révocation de l’arrêt qui a pour but de la dégrader, alors, je n’hésite plus à vous l’avouer, sire, je refuserais d’être l’instrument de la perte de mon peuple, et je descendrais du trône plutôt que de condescendre à ternir son antique splendeur par un abaissement sans exemple. » Cette lettre porta coup, et l’effet s’en fit bientôt sentir ; les vautours, pris d’inquiétude, lâchèrent leur proie. Pozzo ajoute, au bas de son brouillon : « C’est après que cette note fut communiquée aux alliés et soutenue par la Russie qu’on négocia sur la base de l’occupation temporaire. » Voilà, sans doute, un curieux document. S’il est permis de s’étonner qu’un homme qui n’était pas Français ait si bien fait parler un roi de France, on s’étonne encore plus qu’un descendant d’Henri IV ait eu besoin de