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France et de s’emparer de l’Allemagne. Il disposait de tout, se substituait au cabinet, n’écoutait plus son roi ; il consentait à peine à le tolérer. Il y eut en Prusse, dans tous les temps, un parti militaire enclin à s’immiscer dans le gouvernement, dans l’administration, dans la politique étrangère. En 1815, ce parti ou cette faction avait fait alliance avec les sociétés secrètes dont on s’était servi pour soulever l’Allemagne contre Napoléon. On projetait d’accomplir d’accord avec elles des réformes violentes, de convoquer à Berlin une assemblée chargée de libeller une constitution, et on mêlait l’esprit de secte aux convoitises, des rêves de tribuns à des chimères de soudards. « Une seule bataille a terminé la guerre, écrivait Pozzo. De Waterloo à Paris, les armées ont marché presque sans coup férir. Le succès, qui aurait dû inspirer les conseils de la sagesse et de la bonne foi, les a plus ou moins bannis de partout… La Prusse s’est mise à la tête d’une nouvelle révolution. Une conspiration militaire vient de s’emparer de l’autorité ; le principe qui guide ces gens est le mélange de tout ce qui est opposé au bien dans tous les systèmes. Maximes démocratiques jointes à l’avidité du pouvoir ; constitution délibérée dans un conseil de guerre ; politique extérieure soumise aux caprices et aux exigences de l’armée ; patriotisme allemand et projet évident de conquérir ceux mêmes qu’on a l’air d’exciter à la liberté ; jargon religieux avec toute l’acrimonie de l’esprit de secte et les mystères d’une société secrète ; telles sont les idées de ceux qui, ayant plus d’activité que d’espace à parcourir chez eux, voudraient se jeter chez les autres et introduire dans les armées le jacobinisme des clubs. » Et il s’étonnait que Frédéric-Guillaume III parût donner carte blanche à ces dangereux visionnaires, qui, pour devenir les maîtres, se servaient indifféremment de tout, du mysticisme et de la cravache, de la prière et de l’épée, de la plume de Machiavel et du sabre de Mahomet.

Si le flegme britannique, l’astuce du cabinet autrichien et les fureurs prussiennes avaient disposé librement de nos destinées, nous aurions perdu dès ce temps l’Alsace et une partie de la Lorraine, et avec l’Alsace on nous eût pris la Flandre, une partie de la Haute-Champagne, de la Franche-Comté, du Dauphiné, du Bugey. Désormais, nos frontières et toutes les routes qui mènent à Paris eussent été ouvertes à l’invasion. Les forteresses qui nous restaient devaient être ou désarmées ou occupées par les alliés durant sept ans. Pas d’autre garantie que la bonne foi ou le bon plaisir, et pendant qu’on détruisait à dessein les ressources de la France, qu’on tarissait son revenu, on exigeait d’elle une contribution de guerre qui, en y ajoutant l’entretien des troupes durant l’occupation, montait à près d’un milliard et demi.

Pozzo regardait ce projet de traité « comme un chef-d’œuvre de destruction. » — « Au lieu d’y voir de la fureur, disait-il, je n’y aperçois que du calcul qui va à ses fins d’une manière infaillible… Si la France