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de son histoire, c’est le règne de Crésus, et il insiste fortement sur cette idée. — Ici, retour en arrière : Hérodote rappelle l’histoire des prédécesseurs de Crésus ; on dirait un récit d’Ulysse chez Alcinoüs ou d’Énée chez Didon ; c’est le même ordre implexe, le même art d’enchâsser le tableau du passé dans : celui du présent. — L’histoire de Crésus continue. Près de lutter contre les Perses, il consulte les oracles et cherche des alliances, notamment à Sparte et à Athènes : digression sur ces deux cités. Reprise du récit et fin de l’histoire de Crésus, suivie d’une digression sur la Lydie. — La lutte contre les Perses a introduit Cyrus sur la scène ; longue digression, avec retour en arrière, sur Cyrus et les Perses, et, chemin faisant, descriptions épisodiques de l’Ionie et de Babylone. Enfin, l’historien revient à Cyrus et raconte sa mort chez les Massagètes.

Voilà le premier livre. Le second tout entier est une digression sur l’Egypte à propos de l’histoire de Cambyse. Une partie du quatrième est une digression sur la Scythie à propos de l’histoire de Darius. Et ainsi de suite jusqu’au bout.

Il y a pourtant une différence entre les six premiers livres et les trois derniers : dans ceux-ci, les digressions sont moins longues ; la continuité des grandes lignes est plus apparente. Conseil de Xerxès, marche des Perses jusqu’à l’Hellespont, catalogue des forces perses, reprise de la marche en avant, état de la Grèce au moment où les Barbares y arrivent, batailles des Thermopyles, de Salamine, de Platée, tous les faits principaux s’enchaînent plus nettement et plus simplement que dans les premiers livres. C’est encore une ressemblance avec l’Odyssée. Près du dénoûment, les fils épars de l’action se resserrent ; les acteurs se rapprochent les uns des autres pour la crise finale. Là encore, pourtant, l’allure reste un peu lente : c’est bien toujours le même art, moins pressé d’arriver au but et de conclure que de s’amuser aux beaux spectacles de la route.

Dans cette variété extrême, les faits sont distribués par groupes harmonieux, de juste étendue, heureusement divers par le sujet, tour à tour amusans et émouvans. Et, d’un groupe à l’autre, le passage est facile : les articulations du récit sont souples, assez marquées sans l’être trop, habilement proportionnées à l’importance du tableau qui va suivre. Parfois, quelques mots de transition suffisent ; ailleurs, comme au début du VIIe livre, l’historien conduit son lecteur à un nouvel ordre de faits par un ample exposé qui forme à l’édifice, selon le mot de Pindare, « une façade resplendissante. » Bref, il y a, dans tout cet art, bien de la finesse et de l’habileté instinctive.

Cette composition d’Hérodote ne ressemble à aucune autre. Avant lui, l’art de composer n’existait pas. Après lui, sous l’influence de