que je ne puis admettre de la part de personne. » Il est à remarquer qu’Aristophane lui-même, défenseur des vieilles mœurs et qui cherchait à plaire aux Athéniens (très religieux dans leur ensemble), se moquait volontiers de ce Bakis, peu d’années après Hérodote. On voit aussi, par la forme même de la déclaration d’Hérodote, que déjà Bakis trouvait de nombreux incrédules. La profession de foi de l’historien, si explicite et si grave, n’en est que plus significative. Sa croyance n’est plus partagée universellement par ses contemporains ; le scepticisme montant commence à la battre en brèche ; mais elle résiste, et le pieux historien ne veut rien avoir d’un esprit fort.
Tel est, quant à l’essentiel, l’esprit d’Hérodote : voilà le fond d’où viennent tous ses jugemens, la source dernière qui fournit à son bon sens, à sa prudence pratique, à sa finesse, les principes généraux sur lesquels il règle ses opinions particulières. Prenons maintenant tour à tour les principaux sujets traités par Hérodote et voyons à quels résultats il arrive sur chacun d’eux.
Sur l’histoire ancienne de l’Orient, qui, d’ailleurs, n’était qu’une partie accessoire de son sujet, on peut caractériser d’un mot le travail d’Hérodote : il en a écrit l’histoire légendaire et populaire. « L’histoire réelle de l’Egypte, dit M. Maspero, Hérodote ne put pas la lire sur les murs où elle s’étalait encore intacte : les monumens furent, pour lui, comme un livre dont il s’amusa à regarder les images, sans savoir du texte que ce qu’on voulut bien lui en dire. On lui conta le roman de la construction des Pyramides, on lui conta le roman de Sésostris, on lui conta le roman de Rhampsinilos… — Aussi bien ne devons-nous pas trop regretter qu’il en ait été ainsi… Les monumens nous disent, ou nous diront un jour, ce que firent les Chéops, les Ramsès, les Thoutmôs du monde réel : Hérodote nous apprend ce qu’on disait d’eux dans les rues de Memphis. » De même, les monumens cunéiformes nous diront ce que firent les rois d’Assyrie. Chez Hérodote, nous apprenons simplement ce qu’on disait d’eux dans les rues de Babylone.
En ce qui concerne l’Orient plus moderne, la part de vérité est évidemment plus grande. L’histoire de Cyrus et de Crésus, celle de Darius et de Xerxès, surtout dans les parties de cette histoire qui se mêlent à celle de la Grèce, étaient plus faciles à bien connaître : le souvenir en était resté plus vivant, les légendes avaient moins déformé la réalité, et l’on peut s’en fier davantage à Hérodote ; à la condition pourtant de ne pas oublier que, dans ces siècles étrangers à la science, les légendes naissent presque en même temps