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introduisaient, à la faveur surtout des cultes mystiques, quelques idées morales plus hautes et un sentiment plus vif. Hérodote est de ces derniers. Le fond de sa croyance lui vient directement de l’épopée. Comme il a beaucoup voyagé, il connaît une foule de dieux étrangers que les anciens poètes ne connaissaient pas et qu’Hésiode n’avait pas mis dans ses catalogues. Mais il n’en est pas embarrassé. Ces dieux nouveaux ne sont, au fond, que les mêmes dieux sous d’autres noms. Un syncrétisme large et hospitalier s’était formé de lui-même sur les confins du monde grec et du monde barbare ; Hérodote l’accueille sans hésiter : sous les dieux égyptiens ou asiatiques, il retrouve tout de suite les dieux grecs. En somme, c’est toujours l’Olympe d’Homère et d’Hésiode auquel il croit. Il faut seulement y ajouter les dieux des mystères, peu connus au temps de l’épopée, et qu’Hérodote voyait en grand honneur autour de lui. Il se fit initier aux mystères, aussi bien à ceux de Saïs, en Égypte, qu’à ceux de Samothrace, en vertu de ce syncrétisme facile qui concilie tout. Très pieux, il obéit scrupuleusement aux règles de silence qui sont imposées aux initiés, et la seule considération qui puisse lui faire taire ce qu’il sait, c’est la crainte de manquer à la discrétion religieuse. Car les dieux ne sont pas pour lui des êtres de raison relégués dans je ne sais quelle région lointaine et inaccessible. Ils sont sans cesse mêlés à la vie humaine, ils agissent sur elle par leurs oracles, par leurs apparitions, par les-miracles qu’ils accomplissent, par leur volonté providentielle, qui tourne les événemens à la fin qu’ils ont en vue. Le merveilleux est partout dans Hérodote, comme il était partout dans la vie grecque de son temps. Non qu’il accepte les yeux fermés tout récit miraculeux qu’on lui apporte : il y a des miracles qu’il admet et d’autres qu’il rejette ; mais il est difficile de voir quelles raisons le décident. S’il ne croit pas que des colombes aient parlé, il admet qu’une jument ait mis bas un lièvre. Dans les distinctions de cette sorte, il juge non par des principes généraux, mais par les inspirations d’un semi-rationalisme inconséquent et capricieux. Il y a des miracles qu’il juge inutiles : sans les nier expressément, il incline à douter ; d’autres, qu’il juge faux, mais simplement parce que la tradition qui les rapporte est suspecte, ou pour tout autre motif particulier : aucun, selon toute apparence, ne lui semble impossible a priori. Sur les oracles, en particulier, il fait quelque part une profession de foi explicite : « Je ne puis dire que les oracles soient menteurs, car je ne veux pas, en présence de ces faits, combattre leur autorité, alors qu’ils s’expriment si clairement. » Suit un oracle du devin Bakis. Puis Hérodote continue : « Voilà les faits sur lesquels Bakis s’exprimait avec tant de clarté ; nier la véracité de ses oracles, c’est ce que je n’ose faire pour mon compte, et ce