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Le sujet d’Hérodote, c’est la lutte de la Grèce et de l’Asie depuis Crésus, c’est-à-dire une période récente, semi-contemporaine, dont le début n’est séparé de l’écrivain que par un siècle au plus. Il rappelle d’abord, il est vrai, les légendes relatives aux luttes antiques entre Grecs et Barbares, mais seulement par prétention : dès la troisième page, il en est à Crésus. S’il lui arrive souvent par la suite de remonter jusqu’aux âges mythiques, c’est en manière d’épisode : le centre de son œuvre est hardiment rapproché ; il établit tout d’abord son récit en pleine période historique. Ce n’est pas tout à fait encore l’histoire à la façon d’un Thucydide, qui raconte des faits contemporains de son âge mûr, ni à la façon d’un Polybe, qui remonte plus haut, il est vrai, mais qui dispose, pour s’éclairer, d’une foule de documens positifs. Au temps d’Hérodote, il n’y avait qu’une manière d’écrire de l’histoire tout à fait solide : c’était de faire comme Thucydide et de raconter ce qu’on avait vu soi-même ou ce qu’on tenait de première main. Hérodote ne l’a pas fait : il reste à moitié route entre les conteurs primitifs et les vrais savans ; mais le progrès, pour être partiel, n’en est pas moins incontestable.

Même progrès, incomplet aussi, en ce qui concerne les élémens de ses récits. Comme les logographes, il abonde encore en anecdotes, en légendes romanesques, en mythes. La multitude des anecdotes est un des traits qu’on remarque d’abord dans Hérodote : son histoire est pleine de récits épisodiques qu’on n’avait qu’à en détacher pour en faire des nouvelles ou de petits romans. Le lecteur moderne en est charmé et un peu surpris. À ce moment, où le conte en prose n’existe pas encore comme genre littéraire distinct, l’histoire en tient lieu dans une certaine mesure : elle répond à un genre de curiosité intellectuelle où le plaisir de l’imagination tient plus de place que le goût du vrai. Cela fait transition entre l’épopée vieillie et le roman qui n’est pas né encore.

Mais déjà aussi, à côté des anecdotes romanesques, les faits positifs deviennent plus nombreux. Les traits de mœurs, les données géographiques précises se multiplient. Les Grecs, navigateurs et curieux, avaient toujours aimé la géographie. Ils l’avaient d’abord connue toute merveilleuse, dans l’Odyssée et dans les poèmes relatifs aux Argonautes. Depuis Anaximandre et Hécatée, ils étaient devenus plus exigeans. Hérodote, voyageur avant d’être écrivain, ouvre largement son livre à la description des pays qu’il a parcourus. En s’occupant de ces choses, il suivait l’exemple d’Hécatée ; mais c’était la première fois, sans doute, que la géographie s’unissait si étroitement à l’histoire et donnait aux récits de cette dernière un cadre et un support.

Une autre nouveauté, ce fut l’introduction dans l’histoire de la