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HERODOTE
ET LA
CONCEPTION MODERNE DE L'HISTOIRE

Hérodote a été souvent appelé le père de l’histoire. Si l’on concluait de là qu’il est le créateur de l’histoire telle qu’on l’entend aujourd’hui, et que son livre ressemble de tous points à ceux qui s’écrivent de nos jours, on serait loin de compte. D’une manière générale, on peut dire que tous les anciens ont écrit l’histoire autrement que nous : il en est de l’histoire comme de la tragédie, qui porte le même nom sous Louis XIV qu’au temps de Périclès, bien que ce nom représente en réalité, aux deux époques, deux choses distinctes. En outre, dans l’antiquité même, Hérodote occupe une place à part.

Quand nous lisons une œuvre d’histoire écrite par un ancien (que celui-ci s’appelle Thucydide, Polybe ou Tacite), nous la trouvons éloquente, dramatique, belle enfin, mais d’une beauté simple, droite et, pour ainsi dire, un peu grêle. C’est la beauté d’un bas-relief où des personnages, peu nombreux, sont disposés dans un bel ordre, tous au premier plan : les attitudes des héros y sont nobles et expressives, mais la foule n’y est qu’indiquée sommairement, et la profondeur manque. Les meilleurs historiens de l’antiquité étudient surtout les grandes forces historiques (individus, cités, armées) dans leur jeu extérieur et dans leur action. En fait d’explications, ils ne vont guère au-delà des motifs moraux, des considérations politiques, au sens le plus étroit du mot, et des appréciations stratégiques. Quant aux causes lointaines qui ont formé ces âmes, ces cités, ces armées (religion, mœurs, institutions), ou