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Mais Orose ne se proposait pas seulement, quand il a composé son livre, d’apprendre l’histoire aux chrétiens. Nous avons vu qu’il avait un dessein particulier : il veut convaincre ses contemporains que les maux dont ils souffrent ne sont pas nouveaux et que, depuis la victoire du christianisme, le monde n’est pas plus malheureux qu’avant. C’est une tâche qu’il a reçue et dont il veut s’acquitter en conscience : « Vous m’aviez ordonné de le faire, prœceperas, » dit-il à saint Augustin, et ce mot nous indique dans quelles conditions il a entrepris son ouvrage. Ne nous attendons pas à y trouver cet esprit de recherche impartiale et indépendante qui fait découvrir la vérité. Avant de se mettre à l’œuvre, son opinion était faite : il était décidé à ne voir, dans l’histoire du passé, que des calamités et des misères. Pour en trouver, et en grand nombre, il n’avait pas besoin de remonter, comme il l’a fait, jusqu’à la guerre de Troie ou aux Amazones ; les temps historiques lui offraient assez de dévastations et de massacres pour prouver aux moins pessimistes que cette terre n’a jamais été un lieu de délices ; c’est un point qu’on ne sera guère tenté de lui contester. On peut lui accorder aussi que nous supportons plus facilement les maux de nos devanciers que les nôtres et que les malheurs présens nous semblent toujours plus graves que ceux dont nous n’avons plus à souffrir. Cette observation, qui paraît d’abord assez banale et dont il serait difficile de nier l’exactitude, Orose la relève par une comparaison piquante qui prouve qu’il avait beaucoup couru le monde et fréquenté les méchantes auberges du temps : « Supposons, dit-il, que quelqu’un soit piqué, la nuit, par des insectes qui l’empêchent de dormir et qu’à ce propos il se rappelle les insomnies que lui a causées jadis une fièvre ardente. Sans aucun doute, le souvenir de la fièvre dont il a souffert autrefois lui fera moins de mal que la privation de sommeil qu’il endure en ce moment. Est-ce une raison de prétendre que les insectes sont plus à craindre que la fièvre ? »

Mais il ne suffit pas à Orose d’établir que chaque époque a eu ses misères et qu’elles lui ont paru plus intolérables que celles des siècles précédens ; il va plus loin et veut nous faire croire que ses contemporains ont tout à fait tort de se plaindre et qu’à tout prendre on ne vit jamais de siècle plus fortuné ; mais les preuves qu’il en donne sont fort contestables. C’est ainsi que, pour attester la prospérité générale, il affirme « que les villes sont pleines de