sa fortune, puisque tout allait finir ? Il n’y avait plus, dans cette extrémité, qu’à se résigner, attendre et laisser tranquillement les barbares s’établir où ils voudraient. C’est ce qu’un patriote comme Augustin ne pouvait supporter. Il répondit donc à Hésychius par une lettre qui, comme les autres, a dû courir le monde et raffermir quelques courages ébranlés. Il y montre, par une discussion serrée, qu’il n’y a pas lieu de croire que les derniers jours soient arrivés ; quoi que prétende Hésychius, les conditions exigées par les livres saints ne sont pas toutes remplies, et il manque quelques-uns des signes auxquels on doit en reconnaître l’approche. Est-il vrai, par exemple, que l’empire soit perdu sans remède, comme on le suppose ? Il est fort maltraité, sans doute ; mais sa situation était au moins aussi mauvaise sous l’empereur Gallien, quand il ne restait plus une province fidèle et que l’ennemi était au cœur de l’Italie. Et pourtant les barbares ont été vaincus, les provinces ramenées et les frontières reconquises. L’empire s’est relevé de sa ruine ; et après un siècle et demi, qui n’a pas été sans gloire, il existe encore. Pourquoi veut-on que ce qui s’est fait une fois ne puisse pas recommencer ?
Ainsi saint Augustin garde l’espérance, et surtout il ne veut pas qu’on se décourage autour de lui. Si la catastrophe est inévitable, ce qu’il ne croit pas, il faut virilement s’y préparer par la prière et les bonnes œuvres ; mais, en attendant, on doit faire comme si elle ne devait pas venir, et ne négliger aucun des devoirs de la vie. Pendant une absence qu’il avait faite, ses clercs, paralysés par ce qu’ils entendaient dire de l’ennemi qui menaçait, s’étaient relâchés de leurs fonctions ordinaires ; ils avaient oublié de vêtir les pauvres. « Gardez-vous, leur écrivit-il, de vous laisser abattre et épouvanter par l’ébranlement de ce monde. Non-seulement vous ne devez pas diminuer vos œuvres de miséricorde, mais il faut en faire plus que de coutume. De même qu’en voyant chanceler les murs de sa maison, on se retire en toute hâte vers les lieux qui offrent un solide appui, ainsi les cœurs chrétiens, s’ils sentent venir la ruine de ce monde, doivent s’empresser de transporter tous leurs biens dans le trésor des cieux. »
Le danger pourtant se rapprochait. Les Vandales, après avoir ravagé l’Espagne, passèrent le détroit, et la guerre se trouva ainsi portée tout près d’Hippone. Saint Augustin, qui tremblait pour son église, crut devoir prendre ses précautions ; et d’abord il voulut désigner celui qui devait lui succéder. Il savait que le choix d’un évêque n’allait pas toujours sans discussions et sans querelles. Pour éviter des dissentimens fâcheux, il jugea utile de faire connaître à son peuple le prêtre qu’il avait choisi et d’obtenir d’avance son