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Pour traiter à fond cette question et connaître exactement la part que l’Église a dû prendre à leur établissement dans l’empire, il faudrait étudier en détail toute l’histoire du Ve siècle. Cette étude, qui ne serait pas aisée, nous entraînerait beaucoup trop loin. Heureusement nous pouvons nous borner. Il nous suffira, pour nous former une opinion, de comparer entre eux trois écrivains importans de cette époque, qui se sont succédé dans l’intervalle d’un demi-siècle, saint Augustin, dans ses derniers écrits, Paul Orose et Salvien. Ils ont assisté aux progrès de l’invasion et nous les font suivre pas à pas. Ils nous montrent les dispositions de l’église à chaque phase de la lutte et par quels sentimens elle a passé à mesure que s’affermissait le succès des barbares. Il me semble que nous verrons, en les lisant, qu’elle leur était d’abord contraire, et les motifs qu’elle a dû avoir pour leur devenir plus tard favorable.


I

Pendant que saint Augustin continuait d’écrire la Cité de Dieu et de répondre aux reproches des païens, les événemens suivaient leur cours. La prise de Rome, qui avait semblé le couronnement de tous les désastres passés, n’était, en réalité, que le prélude de plus grands malheurs. L’empire étant ouvert aux frontières, tous les barbares avaient passé. Ils retrouvaient, sur leur route, ceux de leurs frères qu’on avait eu l’imprudence d’établir dans les pays déserts pour les repeupler ; ils se recrutaient, à l’occasion, des mécontens qui ne voulaient pas ou ne pouvaient plus payer l’impôt, et tous ensemble couraient les provinces. Saint Jérôme, qui suivait de loin, avec une anxiété de Romain et de lettré, ces victoires de la barbarie, en a tracé d’effrayans tableaux. Il dépeint les Vandales, les Sarmates, les Alains, les Gépides, les Hérules, les Saxons, les Burgondes, les Allemands ravageant la Gaule et l’Espagne, qu’on n’essaie plus de défendre ; les fidèles massacrés dans les églises, « les saintes veuves et les vierges consacrées au Seigneur devenues la proie de ces bêtes furieuses, les évêques emmenés captifs, les prêtres tués, les autels détruits, les reliques des martyrs jetées au vent ; la misère régnant partout où passent les barbares, et ceux que le glaive épargne moissonnés par la faim. »

Il n’est pas douteux que la nouvelle de ces désastres n’ait déchiré l’âme de saint Augustin. Dans sa correspondance, toute consacrée aux grandes questions religieuses, il en parle le moins qu’il peut. On dirait qu’il lui répugne d’y toucher. Un fidèle lui ayant demandé d’écrire un livre de consolation à propos des malheurs