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d’Homère nous font entrevoir une époque, plus éloignée encore, où l’attribut d’Hermès était une simple baguette fleuronnée, τριπέταλος (tripetalos), à trois feuilles. Comment expliquer ces transformations ? La première en date est peut-être due à l’influence des Phéniciens qui nous ont laissé sur leurs stèles, surtout en Libye, l’image de nombreux caducées formés d’un cercle placé sur un bâton et surmonté d’un croissant. Quant à la seconde modification, justifiée, après l’événement, par la légende relative à Hermès jetant sa verge entre deux serpens qui se battaient, on peut discuter si elle révèle une intention symbolique ou si, comme le pensent la plupart des érudits, elle est due à une fantaisie de l’art grec. Mais, quoi qu’il en soit, c’est sans doute à cette innovation que le caducée doit de s’être maintenu dans la symbolique moderne pour y représenter deux attributs toujours actuels de Mercure : l’industrie et le commerce. De même, dans l’Inde, où il a été introduit par les Grecs (il y apparaît, pour la première fois, au revers d’une monnaie émise par Sophytès, prince indigène contemporain d’Alexandre), il s’est perpétué jusqu’à notre époque, où M. Guimet en a observé de nombreux exemplaires parmi les pierres votives de certains temples vishnouites. En matière de symbole, rien ne se perd de ce qui mérite de vivre et sait se transformer.

Les symboles sont, eux aussi, soumis à la loi du combat pour la vie. C’est encore à un perfectionnement artistique que nous devons sans doute la longévité du foudre, autre figure qu’on a crue longtemps d’origine hellénique. Presque tous les peuples ont représenté le feu du ciel par une arme, quelquefois aussi par un oiseau au vol puissant et rapide. Chez les Chaldéens, il était symbolisé par un trident : des cylindres qui remontent aux plus vieux temps de l’art chaldéen nous montrent un jet d’eau qui s’échappe du trident tenu par le dieu du ciel ou de l’orage. L’artiste assyrien qui, le premier, sur les bas-reliefs de Nimroud ou de Malthaï, dédoubla ce trident ou plutôt le transforma en un faisceau trifide, capable de se prêter aux raffinemens et aux élégances de l’art classique, assura par là au vieux symbole mésopotamien l’avantage sur toutes les autres représentations de la foudre avec lesquelles il devait entrer en concurrence. Les Grecs, comme toutes les nations indo-européennes, paraissent s’être figuré le feu de l’orage sous les traits d’un oiseau de proie. Quand ils eurent reçu d’Asie-Mineure l’image du foudre, ils la placèrent dans les serres de l’aigle et en firent le sceptre de Zeus, quittes, suivant leur habitude, à expliquer par une légende cette combinaison symbolique : ce serait l’aigle qui aurait apporté le foudre à Zeus, quand celui-ci s’équipa pour la guerre des Titans. L’Italie latine transmit le foudre à la