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dernières réunions du congrès des américanistes, on peut la regarder comme définitivement rejetée. — Il est désormais hors de contestation que la croix de l’Amérique précolombienne est une rose des vents, qu’elle représente les quatre directions principales d’où vient la pluie et qu’elle est ainsi devenue le symbole du dieu dispensateur des eaux célestes, Tlaloc, par extension, du personnage mythique Quetzaooatl. Si la croix des Toltèques pouvait se rattacher à une figure analogue du vieux monde, ce serait plutôt aux croix de l’antique Mésopotamie, où l’on avait aussi adopté ce signe pour symboliser les quatre directions de l’espace et par extension le ciel ou le dieu du ciel, Anou. Mais il faudrait d’abord établir que des relations directes ou indirectes ont pu exister entre l’art religieux de la Mésopotamie et celui de l’ancienne Amérique. Or, pour écarter cette hypothèse, — si même on se refuse à admettre le développement original de la civilisation précolombienne, — il suffit de réfléchir au nombre de siècles qui séparent celle-ci des glands empires de l’Euphrate et du Tigre. Cette lacune plus que millénaire ne pourrait être comblée qu’en faisant intervenir la Chine, du moins pour ceux qui admettent à la fois, avec M. Charnay, les origines mongoliennes de la civilisation américaine, et, avec M. Terrien de la Couperie, les origines chaldéennes de la civilisation chinoise. Mais alors il resterait encore à prouver qu’en Chine la croix a été employée de la même manière et avec la même signification. — On comprend qu’il est plus sage de voir provisoirement dans cette coïncidence le simple résultat de deux raisonnemens identiques en leur simplicité.

D’un autre côté, on ne peut contester la facilité avec laquelle se transmettent les symboles. Produits courans de l’industrie, thèmes favoris des artistes, ils passent sans cesse d’un pays à l’autre avec les articles d’échange et les objets de parure, témoin les échantillons de la symbolique et de l’iconographie indoues, chinoises, japonaises qui pénètrent chez nous avec les potiches, les ivoires, les étoiles et, en général, avec toutes les curiosités de l’extrême Orient. Autrefois soldats, marins, voyageurs de toute profession, ne se mettaient pas en route sans emporter sous une forme quelconque leurs symboles et leurs dieux, dont ils répandaient ainsi la connaissance au loin, quittes à rapporter ceux de l’étranger dans leurs bagages. L’esclavage, si développé dans le monde antique, a dû également favoriser l’importation des symboles par l’entremise de ces innombrables captifs que la fortune de la guerre ou les hasards de la piraterie faisaient affluer des régions les plus lointaines, sans qu’on pût leur enlever le souvenir de leurs dieux ni de leur culte. Enfin les monnaies n’ont jamais manqué de propager à d’énormes