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l’histoire respective, d’abord au sein de chaque peuple, puis dans l’ensemble des pays où elles se rencontrent. Il n’y a pas d’autre procédé pour arriver à établir comment elles ont passé d’une nation à une autre et dans quelle mesure elles ont modifié, au cours de ces migrations, leur signification et leur forme. Peut-être, après de multiples et patientes recherches de ce genre, arrivera-t-on à établir les lois du symbolisme, comme on l’a fait pour la grammaire comparée, ou simplement à réunir les matériaux d’une histoire générale de la symbolique, comme on l’a réalisé pour presque toutes les branches de nos connaissances. Il est inutile d’insister sur l’intérêt qu’offrirait une pareille œuvre, en dehors même des services qu’elle serait appelée à rendre aux sciences archéologiques. En religion, en littérature, en art, le symbolisme est une nécessité de l’esprit humain, qui, fort heureusement pour son développement esthétique, n’a jamais pu ni se contenter des abstractions pures, ni s’en tenir au contour extérieur des choses. Sous les formes matérielles et parfois incohérentes par lesquelles les générations passées ont exprimé leurs aspirations et leurs croyances, nous sentons un cœur qui bat, une âme qui fait appel à d’autres âmes, un esprit qui cherche à embrasser l’infini dans le fini, à objectiver, sous des traits fournis par la nature ou par l’imagination, ses conceptions les plus approximatives d’une réalité insaisissable en sa plénitude. Sans doute, les symboles qui ont attiré au plus haut point la vénération des foules ont été les signes représentatifs de dieux souvent absurdes et grossiers, mais qu’ont jamais été les dieux eux-mêmes, sinon les symboles plus ou moins imparfaits de l’Être, supérieur à toute définition, que la conscience humaine, à mesure qu’elle s’est développée, a entrevu plus clairement au travers et au-dessus des dieux ?


I

Il semblerait que la variété des symboles dût être sans limites, comme les combinaisons de l’imagination humaine. Cependant il n’est pas rare de retrouver les mêmes figures symboliques chez les peuples les plus éloignés. Ces rencontres ne peuvent guère s’expliquer par le hasard, comme des coïncidences de caléidoscope. Hormis le cas des symboles trouvés chez des peuples qui appartiennent à la même race et, qui, par suite, ont pu emporter de leur berceau commun certains élémens de leur symbolique respective, il n’y a que deux explications possibles : ou bien ces images ont été conçues isolément en vertu d’une loi de l’esprit humain, ou bien elles ont passé d’un pays à l’autre par voie d’emprunt.