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non moins nombreux auxquels la philanthropie administrative fournit gratis les commodités de l’hôtel, le couvert, l’éclairage, et souvent les vivres. — Entre les deux conceptions contradictoires et toutes les deux fausses, entre le préfet de l’an VIII et la démocratie de 1792, une transaction s’est conclue : sans doute, le préfet, expédié de Paris, demeure toujours le directeur en titre, le gérant actif et responsable de l’hôtel départemental ou communal ; mais il est tenu de le gérer en vue des élections prochaines, et de façon à maintenir la majorité parlementaire dans la possession des sièges qu’elle occupe au parlement ; partant, il doit se concilier les meneurs locaux du suffrage universel, administrer avec leur concours, subir l’ingérence de leurs convoitises et de leurs préventions, prendre chaque jour leur avis, y déférer souvent, même pour le détail, même pour l’application quotidienne d’un fonds déjà voté, pour la nomination d’un garçon de service, pour la nomination de l’apprenti non payé qui pourra un jour remplacer ce garçon[1]. — De là, le spectacle que nous avons sous les yeux : un hôtel mal tenu où la profusion et l’incurie s’aggravent l’une par l’autre, où les sinécures se multiplient et où la corruption s’introduit ; un personnel de plus en plus nombreux et de moins en moins efficace, tiraillé entre deux autorités différentes, obligé d’avoir ou de simuler le zèle politique et de fausser par sa partialité la loi impartiale, appliqué, par-delà son devoir professionnel, à des besognes malpropres ; dans ce personnel, deux sortes d’employés, les nouveaux-venus, avides, et qui, par passe-droit, s’emparent des meilleures places, les anciens qui n’y prétendent plus, patiens, mais qui, à force de pâtir, se rebutent ; dans l’hôtel lui-même, de grandes démolitions et reconstructions, des façades architecturales, en style de monument, pour la montre et la réclame, des bâtisses toutes neuves, décoratives et horriblement onéreuses, des dépenses extravagantes ; par suite, des emprunts et des dettes, une note plus grosse à la fin de chaque année pour chacun des occupans, des prix de faveur et cependant très hauts pour les petites chambres, les mansardes et le galetas, des prix démesurés pour les grands et moyens appartenons ; au total, des recettes forcées et qui ne suffisent pas aux dépenses, un passif qui déborde l’actif, un budget dont l’équilibre n’est stable que sur le papier ; bref, une maison qui mécontente son public et s’achemine vers la faillite.


H. TAINE.

  1. Paul Leroy-Beaulieu, l’Administration locale en France et en Angleterre, p. 28. (Décréts du 25 mars 1852 et du 13 avril 1861.) Liste des emplois auxquels le préfet nomme directement et sur la présentation des chefs de service, entre autres les surnuméraires de l’administration des lignes télégraphiques, les surnuméraires-contrôleurs des contributions directes et les surnuméraires des contributions indirectes.