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et passionné, moraliste à conscience large, au lieu d’exiger l’honorabilité intacte et la compétence prouvée, ne demande aux concurrens que le bavardage oratoire, l’habitude de se pousser en avant et de s’étaler en public, la flatterie grossière, la parade de zèle et la promesse de mettre le pouvoir que va conférer le peuple au service de ses antipathies et de ses préjugés. Introduits à ce titre dans le conseil municipal, ils y sont la majorité et nomment un maire qui est leur coryphée ou leur créature, tantôt le conducteur hardi, tantôt l’instrument docile de leurs rancunes, de leurs complaisances, de leur précipitation, de leurs maladresses, de leur présomption, de leur ingérence et de leurs empiétemens. — Au département, le conseil général, élu aussi par le suffrage universel, se sent aussi de ses origines ; sa qualité, sans tomber si bas, baisse aussi d’un degré, et par une altération croissante : des politiciens s’y installent et se servent de leur place comme d’un marche-pied pour monter plus haut ; lui aussi, pourvu d’attributions plus larges et prolongé en ses absences par sa commission intérimaire, il est tenté de se croire le souverain légitime delà communauté très espacée et très disséminée qu’il représente. — Ainsi recrutés et composés, agrandis et détériorés, les pouvoirs locaux deviennent d’un maniement difficile, et désormais, pour administrer, le préfet doit s’entendre avec eux.


XV

Avant 1870, quand il nommait les maires et que le conseil général ne siégeait que quinze jours par an, ce préfet était presque omnipotent ; aujourd’hui encore, « ses attributions sont immenses[1], » et son pouvoir reste prépondérant. Il a le droit de suspendre le conseil municipal et le maire, et de proposer au chef de l’État leur destitution. Sans recourir à cette extrémité, il garde la main haute et toujours levée sur la commune, car il a le veto en fait de police municipale et de voirie, il peut casser les règlemens du maire, et, par un usage adroit de sa propre prérogative, imposer les siens. Il tient dans sa main, révoque, nomme ou concourt à nommer, non seulement les employés de ses bureaux, mais aussi les employés de toute espèce et de tout degré qui, hors de ses bureaux, servent la commune ou le département[2], depuis l’archiviste, le conservateur du musée, l’architecte, le directeur et les professeurs des écoles municipales de dessin, depuis les directeurs et receveurs des établissemens de bienfaisance, les

  1. Aucoc, p. 283.
  2. Paul Leroy-Beaulieu, l’Administration locale en France et en Angleterre, p. 20, 28, 92. (Décrets du 25 mars 1852 et du 13 avril 1861.)