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logés, font le même cadeau, la même charité à 625,000 Parisiens mal ou médiocrement logés ; parmi ces 60,000 bienfaiteurs que le fisc oblige à la bienfaisance, 34,800, qui ont de 1,000 à 3,000 fr. de loyer, font de ce chef une aumône assez grosse, et 14,800, qui ont un loyer de plus de 3,000 francs, font de ce chef une aumône très grosse. Même spectacle dans les autres branches de la contribution directe, à la campagne comme à la ville : ce sont toujours les contribuables aisés ou riches qui, par leur surcharge, déchargent plus ou moins complètement les contribuables malaisés ou pauvres ; ce sont les gros et moyens propriétaires, les gros et moyens patentés, les occupans d’un logis qui a plus de cinq ouvertures[1] et dont la valeur locative dépasse 1,000 francs, qui, dans la dépense locale, paient, outre leur dû, le dû des autres, et, par leurs centimes additionnels, défraient presque seuls le département et la commune. — Il en est toujours ainsi dans une société locale, sauf le cas où elle est rentière, largement pourvue d’immeubles productifs et capable de pourvoir à ses besoins sans taxer ses membres ; hors ce cas si rare, elle est forcée de surtaxer les uns pour dégrever les autres. En d’autres termes, comme toute entreprise, elle fabrique un produit et le met en vente ; mais, à l’inverse des autres entreprises, elle vend son produit, une quantité égale du même produit, à savoir une protection égale contre les mêmes fléaux, et la jouissance égale de la même voie publique, à des prix inégaux, très cher à quelques-uns, assez cher à plusieurs, à beaucoup au prix coûtant, avec rabais au grand nombre : pour les consommateurs de cette dernière classe, le rabais va croissant, comme le vide de leur bourse ; aux derniers de tous, très nombreux, la marchandise est livrée presque gratis, ou même pour rien.

Mais à cette inégalité des prix peut correspondre l’inégalité des droits, et il y aura compensation, restauration de l’équilibre, application de la justice distributive si, dans le gouvernement de l’entreprise, les parts ne sont pas égales, si chaque membre voit

  1. Paul Leroy-Beaulieu, Traité de la science des finances, I, p. 367-368 : « Dans les communes au-dessous de 5,000 habitans, le principal de la taxe des portes et fenêtres est, pour les maisons à une ouverture, de 0 fr. 30 par an ; pour les maisons à deux ouvertures, de 0 fr. 45 ; pour les maisons à trois ouvertures, de 0 fr. 90 ; pour les maisons à quatre ouvertures, de 1 fr. 60. » Or « une maison à cinq ouvertures paie presque neuf fois autant qu’une maison à une ouverture. » Les petits contribuables sont donc très dégrevés au préjudice des gros et moyens, et l’on peut apprécier la grandeur de ce dégrèvement par les chiffres suivans. En 1885, sur 8,975,166 maisons, il y en avait 248,352 à une ouverture ; 1,827,104 à deux ouvertures ; 1,624,516 à trois ouvertures ; 1,165,902 à quatre ouvertures. Ainsi plus de la moitié des habitations, toutes celles des gens pauvres ou malaisés, sont dégrevées, et l’autre moitié, puisque la taxe est un impôt, non de quotité, mais de répartition, est surchargée d’autant.