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majorité avait fait droit aux réclamations de la minorité. Faut-il redire ce qu’a été la loi sur la magistrature ? Cette parodie de réforme, les républicains indépendans en ont démasqué l’hypocrisie[1] : elle n’a eu qu’un but et qu’un résultat : donner au pouvoir des juges plus dociles, et au parti des places mieux rétribuées. Et la loi scolaire, qui a établi la gratuité et la laïcité de l’enseignement n’eût-elle rien gagné à recevoir pour correctifs quelques amendemens de la droite ? Le principe de l’obligation, inattaquable en soi, ne pouvait-il être entendu d’une manière plus large et appliqué d’une façon moins pédante ? En fait, dans la plupart des départemens, l’administration n’a-t-elle pas dû renoncer à l’application de la loi ? Quant à la gratuité et à la laïcité, combien ont-elles coûté à l’État, combien aux communes ? N’eût-on pu y apporter d’utiles tempéramens, au grand profit des finances publiques, non moins que des libertés publiques ? En ne se lassant pas de réclamer en faveur du droit des communes, du droit du père, du droit de l’enfant, les conservateurs peuvent se vanter d’avoir défendu les libertés communales, en même temps que la liberté religieuse. La gauche invoquait la Raison, érigée en reine de la république ; elle l’encensait, elle la déifiait dans des discours pareils à des hymnes ; et la raison, hélas ! était à droite. Aussi, dans leur campagne pour la liberté et l’économie, les conservateurs ont-ils eu souvent pour alliés les plus raisonnables, comme les plus libéraux des républicains, les J. Simon, les Dufaure, les Say.

Et la loi militaire de 1889, la droite, en la combattant ou en s’efforçant de l’amender, ne servait-elle pas les intérêts matériels et intellectuels du pays, en même temps que ses intérêts financiers et militaires ? Là encore, de quel côté était la raison, et de quel côté la passion ? Et qui a le mieux mérité de l’intelligence française ? qui a le mieux mérité de la science ? Qu’il s’agît des hautes écoles, du clergé, des missionnaires, du commerce, la droite a eu la gloire d’être, presque seule, à soutenir les intérêts supérieurs de la France. « La république n’est pas obligée de faire des savans ; de quel droit demander pour eux des privilèges ? » s’écriait Jean Bon Saint-André en 1793. Et, en 1889, la majorité de la majorité républicaine, discutant la loi militaire, répétait le mot de Jean Bon Saint-André. « La république n’a pas besoin de savans, » disait Coffinhal au tribunal révolutionnaire, en envoyant Lavoisier à l’échafaud. La révolution avait décapité la science avec Lavoisier, la poésie avec Chénier ; la majorité de la dernière chambre semblait s’être donné pour mission de décapiter l’intelligence française. Si elle n’y a

  1. Voyez la Réforme de la magistrature, par M. G. Picot.