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susceptibilités militaires, de diviser peut-être, d’offusquer et d’irriter encore plus les chefs de l’armée. Qu’est-il arrivé ? L’animadversion a fini par éclater. Il n’y a que quelques jours, un chef militaire, justement un de ceux qui ont le plus contribué, il y a quinze ans, à la restauration du roi Alphonse, le général D. Luis Daban, a pris sur lui d’écrire une lettre confidentielle à quelques-uns de ses compagnons de l’armée pour leur demander leur concours contre des projets qu’il jugeait dangereux. Cette lettre n’avait pas sans doute le caractère absolument révolutionnaire qu’on lui a prêté ; elle ne parlait que de moyens légaux à employer pour sauvegarder les droits de l’armée. L’auteur n’avait aucun commandement actif, — il était de plus sénateur et c’est comme sénateur qu’il prétendait défendre l’intégrité des institutions militaires. Par elle-même, néanmoins, il est bien certain que cette lettre, malencontreusement mise au jour, ressemblait à une propagande d’hostilité et d’indiscipline qui n’avait rien de militaire. Le gouvernement s’en est ému, et il s’est décidé à infliger au général Daban deux mois de forteresse ; mais le général Daban était sénateur, et le ministère s’est trouvé plein de perplexité. Il n’a trouvé rien de mieux que de demander au sénat l’autorisation d’envoyer le général Daban aux arrêts. C’est ici que tout s’est compliqué, que la question militaire est devenue une question politique, parlementaire.

Le danger, en effet, était de provoquer un débat public difficile à limiter, de livrer à des controverses nécessairement passionnées toutes ces questions délicates de la discipline militaire et de l’inviolabilité parlementaire, du droit ministériel et de l’indépendance de l’officier sénateur ou député. A peine cette lutte a-t-elle été ouverte, tout le monde s’y est précipité. Au congrès, le général Cassola a violemment mis en cause le ministre de la guerre, le général Bermudez de Reina, et le président du conseil lui-même, en contestant la légalité de leur action disciplinaire. Au sénat, les militaires les plus marquans, le général Martinez Campos en tête, le général Jovellar, qui a récemment donné sa démission de président du tribunal suprême de la guerre, le général Primo de Rivera, les principaux chefs de l’armée, ont pris la défense du général Daban. On le remarquera : les plus ardens à soutenir le général Daban n’ont pas précisément défendu la lettre qui a provoqué tout ce bruit ; ils n’ont mis en doute ni la nécessité de l’obéissance militaire, ni les devoirs de la discipline, ni même, d’une manière générale, les droits du gouvernement. L’habile chef conservateur, M. Canovas del Castillo, en intervenant avec une éloquente autorité dans les débats du congrès, s’est gardé de compromettre son parti pour la défense des généraux trop mêlés à la politique. On a accusé le ministère d’avoir manqué de jugement et de mesure, d’avoir fait trop ou trop peu. On lui a dit que, si la lettre du général Daban n’était qu’une faute légère d’irréflexion ou d’imprudence, une simple