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humoristiques qui allaient sans doute à une autre adresse, sur le danger de déchaîner la vapeur et de trop aller de l’avant. Tous ces mots plus ou moins vrais et d’autres encore ne sont plus que des détails. L’homme s’est éclipsé, et avec l’homme, c’est une politique qui a disparu. L’empereur Guillaume II reste seul, occupant la scène, impatient de mettre la main à tout et demeurant une énigme pour ses contemporains, pour l’Allemagne comme pour l’Europe.

Quels seront les résultats de cette action souveraine qui ne connaît ni conseils ni limites ? Que deviendra ce règne après de si bruyans débuts ? On ne peut rien prévoir. Une seule chose est certaine, c’est que cet empereur émancipé se jette dans l’inconnu avec une étrange décision et ne paraît nullement disposé à s’arrêter. Il va devant lui, étonnant chaque jour le monde par quelque hardiesse nouvelle. A peine la conférence réunie par ses soins à Berlin a-t-elle clos ses délibérations plus platoniques que pratiques, il a fait exposer dans le Moniteur de l’empire un véritable programme de réformation sociale. A entendre son langage sur ceux qui souffrent, sur les revendications ouvrières, sur les classes nouvelles, sur ce « quatrième état, » qui à son tour aspire à monter sur la scène, on le prendrait pour un chef de révolution. On pourrait s’y tromper, si on ne sentait aussitôt que celui qui parle ainsi entend rester le maître et l’arbitre de tout, que, dans sa pensée, la royauté est la souveraine régulatrice qui tient la balance. pour lui, les partis doivent disparaître. Il le dit : « Il faut qu’ils enterrent leurs armes de combat, qu’ils renoncent à se disputer le pouvoir, et qu’ils se groupent autour du protecteur de toutes les classes de la société, autour de celui qui porte la forte et puissante couronne. » C’est fort bien ! la difficulté sera peut-être de concilier tout cela, ce monarque qui peut tout, qui prétend décider de tout et les masses populaires qui ne paraissent pas se détourner de leur but, qui se mettent partout en grève, qui s’associent plus que jamais à un mouvement universel de socialisme. Ce qu’il y a de plus caractéristique peut-être encore, c’est que ce jeune empereur ne se borne pas à se faire le César des ouvriers ; il vient, par un nouveau rescrit, de porter une main hardie sur la noblesse militaire et ses privilèges, sur la constitution exclusive du corps d’officiers. Il ouvre la carrière des grades militaires aux fils des bourgeois, et ici encore, à la vérité, il laisse percer son arrière-pensée ; il ouvre la porte aux « fils de familles bourgeoises — qui aiment le métier de soldat et qui nourrissent des sentimens chrétiens. » Tout se mêle dans cet esprit tumultueux, enivré de pouvoir et de mouvement. On a raconté jadis que le pape Pie IX, ce grand et naïf précurseur des révolutions de 1848, se comparait lui-même à un enfant qui, ayant vu un magicien faire apparaître où disparaître le diable à volonté, avait voulu l’imiter ; malheureusement l’enfant, après avoir évoqué le terrible fantôme, avait