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possessions, rien certes de plus naturel, de plus légitime. On sait, d’un autre côté, comment ces expéditions s’engagent, on ne sait jamais comment elles finissent, ce qu’elles peuvent coûter dans ces régions meurtrières, dans des pays où l’on est entraîné, sans le vouloir, à la conquête, où la seule garantie est le plus souvent l’occupation à main armée. On pourra se prêter à ce qui sera strictement nécessaire ? on ne se prêtera sûrement pas à recommencer le Tonkin au Dahomey. C’est assez d’une fois. — Chose curieuse cependant que cette sorte d’assaut livré à l’heure qu’il est de toutes parts au continent africain ! Tandis qu’à l’Occident la France en est encore à délibérer sur une campagne dans le Dahomey, voilà, à l’Orient, l’Angleterre et l’Allemagne récemment alliées pour attaquer le continent noir par Zanzibar, maintenant tout près de se quereller pour une conquête bien incertaine. Il y a même des incidens presque comiques. L’Angleterre multipliait naguère les efforts pour délivrer Emin-Pacha, qu’on croyait perdu ou captif dans l’Afrique équatoriale. Aujourd’hui, Emin-Pacha, qui a été retrouvé et ramené presque malgré lui, sur qui l’Angleterre comptait, passe au service de l’Allemagne et reprend le chemin des grands lacs avec la mission d’assurer la suprématie allemande dans l’Afrique équatoriale. Les Anglais ne voient pas sans ombrage et sans dépit cette extension de la puissance allemande qu’ils ne peuvent pas arrêter comme ils ont arrêté les malheureux Portugais ; ils poussent les hauts cris ! L’Allemagne laisse crier les Anglais ; elle poursuit sa marche, reprenant plus que jamais, à ce qu’il semble, l’exécution de sa politique coloniale, qui paraissait un peu interrompue.

Après cela, il faut l’avouer, l’Afrique est loin, et ces démêlés africains se perdent un peu dans le tourbillon européen, dans ce vaste mouvement où l’Allemagne est engagée, dont la disparition de M. de Bismarck n’a clé qu’un des incidens. Ce qui se passe sur la route du lac Nyanza pâlit un peu devant cette transformation qui s’accomplit à Berlin même, qui n’a sûrement pas dit son dernier mot. Les changemens qui viennent de se réaliser dans l’empire allemand ne sont, en effet, d’après toutes les apparences, qu’un commencement. Le premier acte est joué. M. de Bismarck, après toutes les péripéties intimes qui paraissent avoir précédé sa retraite, a définitivement regagné Friedrichsruhe, escorté par les ovations qui l’ont suivi de Berlin jusque dans ses forêts du Lauenbourg. Il a trouvé partout des députations empressées à le complimenter ; et il aurait, à ce qu’on assure, semé sur son chemin bon nombre de mots plus ou moins piquans, plus ou moins significatifs. Tantôt il aurait dit qu’il était vieux ; qu’il avait quitté la scène, qu’il ne lui restait plus maintenant qu’avoir la pièce de sa loge ; tantôt il aurait laissé entrevoir qu’il pourrait bien un jour ou l’autre reparaître au Reichstag. On ajoute même que dans un dialogue familier avec des employés de chemins de fer, il aurait laissé échapper quelques paroles