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premier rang dans leur programme, ils ont été élus pour les défendre : c’est précisément pour mieux en assurer la défense pratique qu’ils n’hésitent pas à entrer, pour ainsi dire, dans la légalité existante, sans marchander avec la force des choses, sans mettre en doute les « institutions établies. » Leur dessein, ils ne le cachent pas, est « d’aider à la formation dans l’avenir d’une nouvelle majorité de gouvernement, » de s’abstenir de toute « opposition systématique, » de « seconder les tentatives de ceux qui essaieraient de donner satisfaction aux griefs de l’opinion. » C’est après tout la politique de la raison, de la nécessité, et, on le remarquera, c’est la politique de tous les modérés qui, rapprochés sur ce terrain, appuyés sur le pays, représentent ensemble une force avec laquelle on sera bien obligé de compter.

Les « indépendans, » puisqu’ainsi on les nomme, devaient bien s’y attendre : ils n’ont pas tardé à essuyer le feu des partis extrêmes, ils n’ont rencontré dès leur premier pas que des contradictions, des railleries et même quelques colères mal contenues dans les camps les plus opposés. Les uns les ont accusés de manquer à leur mandat conservateur, de passer à la république, d’être des schismatiques, des défectionnaires, de recommencer les aventures ou plutôt les mésaventures du centre gauche ; les autres raillent leur timidité et les accusent de n’être que des républicains attardés, et honteux de n’entrer qu’avec des arrière-pensées et un déguisement dans la république, pour la trahir. C’est tout simple, c’était inévitable.

Il est clair que le manifeste des « indépendans » n’a pas eu de succès parmi les conservateurs partisans de toutes les monarchies, qui mettent au-dessus de tout la forme de gouvernement, qui ont pour premier mot d’ordre la guerre irréconciliable et implacable à la république et aux républicains, aux plus modérés comme aux radicaux ; mais enfin, à quoi a-t-elle servi, cette politique de l’irréconciliabilité et de l’inféodation à une forme de gouvernement ? Depuis vingt ans, ces conservateurs, doctrinaires ou polémistes passionnés, sont à l’œuvre. Ils ont été longtemps au pouvoir. Ils se sont épuisés en efforts inutiles pour des restaurations toujours fuyantes, toujours impossibles, parce que, s’ils se rapprochent dans leurs opinions conservatrices, ils sont divisés par les conflits dynastiques. Ils ont essayé de tout, même, récemment, d’une alliance hasardeuse, inavouable, où ils ont risqué la bonne renommée de leur parti. Ils n’ont réussi à rien, si ce n’est à montrer l’impuissance de leur politique. Et puis, vraiment, n’y a-t-il pas une certaine naïveté dans cette tactique obstinée des conservateurs, adversaires de toutes les transactions ? Qu’ils le veuillent ou qu’ils ne le veuillent pas, ils ne sont pas moins sous la république et dans la république. Ils sont dans les assemblées, dans les conseils généraux, dans les conseils locaux. Ils supportent le poids de « l’institution existante, » ils en subissent les lois et les duretés ; ils paient leurs impôts à la