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ne les laisserait passer avant le pain, les munitions, les réserves d’ambulance, etc. Ils encombreraient les gares de chemins de fer dans la zone des opérations et ne pourraient atteindre le champ de bataille que lorsque l’armée l’aurait abandonné depuis plusieurs jours. En arrivant sur ce terrain dévasté, le convoi de la crémation n’y trouverait ni chevaux pour traîner ses immenses voitures, ni personnel pour lui venir en aide ; la plupart du temps, le combustible lui-même ferait défaut. Le commandement, j’en suis convaincu, n’acceptera jamais, en France du moins, cette innovation encombrante ; les généraux se contenteront comme autrefois d’enterrer les morts dans les tranchées et d’en finir le plus vite possible, pour continuer leur marche en avant.

En résumé, la crémation telle qu’on la pratique aujourd’hui, avec ses appareils perfectionnés et les précautions dont on l’entoure, n’offre aucun inconvénient au point de vue de l’hygiène. On a bien fait de l’autoriser et de donner toutes les facilités nécessaires à ceux que la tombe épouvante et qui préfèrent être brûlés ; mais il n’est pas à désirer que ce mode de destruction se généralise et qu’il prenne la place de l’inhumation. Il faut éviter surtout qu’on exerce une pression en sa faveur et que cette question de sépulture ne devienne une affaire de parti et un prétexte pour froisser les consciences.

On peut sans inconvénient livrer aux appareils crématoires les sujets qui succombent dans les hôpitaux, sans avoir manifesté de préférence, et quand ils ne sont pas réclamés. Cela diminue d’autant l’encombrement des cimetières.

Il y aurait avantage à incinérer les sujets morts de maladies contagieuses, si les familles y consentaient. Quant à l’emploi de la crémation dans les épidémies, il n’est possible que lorsque la mortalité est très faible, et ce cas rentre alors dans le précédent. En ce qui a trait aux champs de bataille, je crois qu’il faut y renoncer, au moins pendant le cours des opérations.


JULES ROCHARD.