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aimés. Ils y trouvent un apaisement sans égal. Les cimetières contre lesquels on se déchaîne aujourd’hui et qu’on dépeint sous des couleurs tellement sombres que c’est à croire qu’on se trompe d’époque, les cimetières n’ont rien d’effrayant, rien qui blesse la vue, au contraire. A certaines époques de l’année, on voit s’y presser une foule nombreuse et recueillie. L’an dernier, à Paris, 127,000 personnes en ont franchi le seuil le jour des morts. Le sentiment qui amène là tant de personnes de condition, d’âge et de caractère différens est un de ceux qui font le plus d’honneur à l’humanité. Le besoin de nous rapprocher de ceux qui ne sont plus, la répugnance à admettre leur disparition complète est peut-être une faiblesse de notre intelligence, mais qu’importe si ceux qui souffrent et qui se souviennent y trouvent une consolation ?

Lorsque nous nous trouvons en face de ces tombes qui recouvrent nos chers morts, où leurs noms sont inscrits, c’est tout leur passé, c’est le souvenir du bonheur qu’ils nous ont donné qui nous revient en mémoire, et nous nous faisons cette illusion qu’ils peuvent nous entendre encore et nous nous surprenons à leur parler avec des larmes dans les yeux. La crémation supprime tout cela. L’urne funéraire implique l’idée d’un anéantissement absolu. Je ne me figure pas un père ou un époux en pleurs ou en prières, devant un récipient dans lequel il a vu mettre quelques débris d’os calcinés. Je me le figure encore moins cherchant, au milieu de la foule, dans l’enceinte encombrée d’un columbarium, le numéro de la case qui renferme les restes de sa femme ou de son enfant.

Les esprits forts, je le sais, se rient de tout. cela. Les théoriciens prétendent même que le culte de la famille et des morts gagnerait à la substitution qu’ils réclament, que la morale, la religion et l’économie domestique y trouveraient également leur compte. Enfin, les jacobins de l’hygiène, qui ne parlent que de prescrire et de proscrire, et qui prendraient volontiers pour devise : « la salubrité ou la mort, » ceux-là déclarent qu’il faut passer outre et ne tenir aucun compte de ces préjugés populaires. Ce sont des superstitions d’un autre âge sur lesquelles le progrès moderne doit passer comme le rouleau sur le macadam. Ces hommes, sévères pour les autres et impitoyables pour les opinions qu’ils ne partagent pas, sont heureusement en minorité. Les gens qui jugent les choses sans parti-pris et avec l’esprit de tolérance qui est la véritable expression du progrès, estiment qu’il faut tenir compte de l’opinion du plus grand nombre, même alors qu’elle s’égare, a fortiori lorsqu’elle a ses racines dans les fibres les plus délicates du cœur humain.

Nous avons été les premiers à réclamer avec instance, pour les