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écrivait au docteur Caffe : « Je n’ai rien trouvé de plus simple que de placer les corps dans une cornue à gaz et de les distiller jusqu’à réduction en cendres, et j’ai ajouté que le gaz provenant de la distillation pourrait servir à l’éclairage, sauf à avoir des appareils de lavage assez puissans. » « Ainsi, disent MM. Lacassagne et Dubuisson dans leur important travail sur la crémation, il ne s’agit pas, pour M. Rudler, de savoir s’il pourrait sembler dur à un fils de voir transformer son père en gaz d’éclairage ; non, c’est tout simplement une affaire d’appareils de lavage à inventer. »

Les mêmes auteurs ont emprunté, à une brochure de la même époque, la citation suivante, qui me paraît tout aussi topique : « Cette combustion dégage des vapeurs qu’il s’agit de rendre aussi peu nuisibles que possible, en attendant qu’on les utilise, comme la science ne manquera pas de le faire un jour. » C’est toujours, comme on le voit, une simple affaire de progrès scientifique à accomplir, et les partisans de la crémation doivent se réjouir à la pensée qu’ils pourront encore être bons à quelque chose après leur mort. C’est qu’en effet les os calcinés constituent un produit précieux pour l’industrie et pour l’agriculture. On l’a bien compris en Angleterre, et le propagateur de la crémation dans ce pays, le célèbre Thompson, a fait parfaitement ressortir tout le bénéfice qu’on pourrait retirer des cendres de ses compatriotes.

L’incinération soustrait au sol des quantités énormes de matières organiques dont il a fourni les élémens, et cette perte constante l’appauvrirait à la longue, si l’on n’y prenait garde. Il faut donc au moins lui rendre le résidu de l’opération, car il est insensé, dit Thompson, de perdre chaque année les 200,000 livres de bon engrais que pourrait fournir la population de Londres, lorsque l’Angleterre est obligée de tirer de l’étranger 800,000 livres d’os par an.

En France, de pareilles propositions nous font bondir et il faut reconnaître que les partisans les plus résolus de la crémation protestent énergiquement contre toute idée d’industrialisme ; mais peuvent-ils répondre de l’avenir ? peuvent-ils affirmer que ceux qui viendront après eux seront animés des mêmes sentimens de réserve et qu’ils n’invoqueront pas un jour l’intérêt social, la nécessité de faire de la place dans les monumens encombrés par les urnes et de rendre à la terre les élémens qu’elle aura fournis ? Qui sait alors s’ils n’obtiendront pas des pouvoirs publics l’autorisation d’utiliser les cendres qui ne seront réclamées par personne. Quant aux autres, on pourra traiter avec les familles. Ce sera un commerce comme un autre. Ce jour-là, disent les deux auteurs que j’ai cités plus haut, le culte des morts aura vécu. Je crains bien que