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généralisait, tout cela ne suffirait pas, puisqu’un four ne peut consumer que vingt corps par jour, en fonctionnant pendant vingt-quatre heures, et que le chiffre des décès s’élève en moyenne, à Paris, à cent quarante-six par jour.

L’entretien de l’appareil est coûteux. Il se détériore rapidement sous l’influence des hautes températures auxquelles il est soumis, et la sole a besoin d’être très souvent renouvelée. Enfin, il exige un personnel spécial, qu’il faut rétribuer largement. Il se compose, pour le moment, de quatre ouvriers, dont le salaire est de 6 francs par jour. Une indemnité supplémentaire de 1,500 francs par an est allouée pour le service de nuit. En résumé, le chiffre inscrit au budget municipal de 1890, pour l’entretien et le fonctionnement du système, s’élève à 45,260 francs. En y joignant l’intérêt de la somme déjà dépensée pour la construction du monument, cela fait 57,560 francs. Or comme, l’année dernière, le nombre des bières livrées au crématoire n’a pas dépassé 518, chaque opération est revenue à 113 francs. Ce chiffre s’abaisserait, sans doute, si le nombre des incinérations augmentait, parce que les frais généraux resteraient les mêmes ; mais le prix serait toujours de beaucoup supérieur à celui des inhumations.

Il est évident que les grandes villes pourront seules supporter les frais de pareils établissemens. Les petites localités devront se priver de ce luxe ; elles se contenteront, comme par le passé, d’un modeste cimetière, avec un fossoyeur à 3 francs par jour.

Le second reproche qu’on a fait à la crémation, c’est celui de rendre les recherches médico-légales impossibles. Aujourd’hui, lorsque la justice est sur la trace d’un crime et qu’il s’agit d’en acquérir la preuve matérielle, elle peut exhumer le corps de la victime pour le soumettre aux recherches nécessaires ; la crémation lui enlève cette ressource. Le professeur Brouardel a fait ressortir, avec l’autorité que lui donne sa compétence spéciale, les dangers sérieux qui peuvent en résulter[1].

Le décret du 17 avril a cru les écarter, en exigeant qu’un médecin, désigné par l’officier de l’état-civil, certifie, au préalable, que la mort a été le résultat d’une cause naturelle ; mais cette attestation ne constitue qu’une formalité de plus et ne donne pas une garantie sérieuse. La plupart des expertises médico-légales se rapportent à des empoisonnemens, ainsi que le fait observer M. Brouardel. Or, dans ce cas, ce n’est pas l’examen du cadavre, ce ne sont pas les

  1. Rapport au conseil d’hygiène publique et de salubrité du département de la Seine, par M. P. Brouardel, professeur de médecine légale à la Faculté de Paris, lu et adopté le 17 août 1883.