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suivirent cet exemple au siège de Troie et, depuis cette époque, on retrouve, chez tous les peuples, l’habitude de brûler les corps des guerriers illustres et des grands personnages, avec un cérémonial conforme à l’importance de la situation qu’ils avaient occupée. Le faste déployé dans ces circonstances était arrivé à son comble sous les derniers empereurs romains, en dépit de la loi des douze tables. L’incinération était en honneur dans toutes les familles patriciennes et n’a cessé de l’être que vers le VIe siècle de notre ère, époque à laquelle le christianisme, devenu le maître, a supprimé ce dernier vestige du paganisme.

Les transformations que cette coutume a subies, en traversant les siècles, pour s’accommoder aux mœurs des différens peuples qui l’ont adoptée, ont donné lieu à des études du plus haut intérêt ; mais cet historique a été fait tant de fois qu’il est devenu quelque peu banal, il est du reste à peu près étranger, comme on le verra plus tard, à la question qui fait l’objet de cette étude. Je vais donc passer sans transition à l’époque contemporaine.

C’est en France que la pensée de revenir à l’incinération s’est manifestée pour la première fois, après douze siècles d’oubli complet. Pour comprendre une aspiration semblable, il faut se reporter à l’époque qui l’a vue se produire et se rappeler le singulier courant d’idées qui entraînait alors les hommes de notre pays.

Ils venaient de fonder, au sein de l’Europe monarchique, une forme de gouvernement qui n’avait d’analogue nulle part. Pour la constituer, ils n’avaient eu d’autres modèles que les républiques de l’antiquité et ils s’étaient épris d’une passion enthousiaste pour les mœurs, les institutions et les usages de ces sociétés disparues, qu’ils entrevoyaient à travers le prisme de leurs souvenirs classiques et des illusions nées sur les bancs du collège. Et puis, ils venaient de fermer les églises et de proscrire les prêtres, et toute mesure hostile au christianisme avait pour elle les faveurs de l’opinion.

C’est au nom de ces souvenirs et de ces rancunes que Legrand d’Aussy vint déposer, le 21 brumaire an V, sur la tribune du conseil des Cinq-Cents, un projet de loi autorisant tout citoyen à faire brûler ou inhumer, à son choix, les corps de ses proches et des personnes qui lui furent chères, en se conformant aux lois de police et de salubrité. Ce projet fut renvoyé à une commission, remanié par elle, et représenté de nouveau ; mais jamais il n’a donné lieu à un vote.

Deux ans après, l’administration centrale du département de la Seine reprit l’affaire pour son compte et, sur son invitation,