Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/918

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

femmes se mêlaient au râle de l’impératrice, seul bruit qui interrompait le profond silence. Profondément émus de ce spectacle, le grand-duc et la grande-duchesse se retirèrent bientôt. En traversant l’appartement, le bon cœur d’Alexandre le porta à penser au prince Zouboi, qui demeurait dans le voisinage. Le grand-duc alla le voir, tandis que la grande-duchesse demeura avec la grande-duchesse Constantin, sa belle-sœur. Le grand-duc Paul arriva vers sept heures. Sans passer chez lui, il s’établit avec sa femme dans l’appartement de l’impératrice. Il ne vit que ses fils : ses belles-filles eurent l’ordre de rester chez elles. L’appartement de l’impératrice se remplit sur-le-champ. Les serviteurs dévoués au grand-duc encombrèrent les salons. C’étaient pour la plupart des gens obscurs à qui ni le talent ni la naissance ne donnaient le moindre droit d’aspirer aux grâces qu’ils voyaient déjà tomber sur eux. La foule augmentait. Les gatchinois, c’est ainsi qu’on appelait les individus dont je viens de parler, heurtaient et bousculaient les courtisans qui se demandaient avec étonnement qui étaient ces Ostrogoths que jusqu’alors on n’avait jamais vus, pas même dans les antichambres.

« Le grand-duc s’établit dans un cabinet attenant à la chambre à coucher. Tous ceux à qui il donna ses ordres durent passer près de l’impératrice agonisante comme si elle n’était déjà plus. Cette profanation de la majesté choqua tout le monde et jeta un jour bien défavorable sur le prince qui l’autorisait. La nuit se passa ainsi. Il y eut un moment d’espoir, les remèdes semblaient produire de l’effet, mais l’illusion fut courte. Cependant toute la journée se passa encore en attente. L’impératrice eut une agonie longue et cruelle sans un moment de connaissance. Le 6 novembre, à onze heures du soir, on vint chercher les grandes-duchesses. L’impératrice n’existait plus !

« Le grand-duc Alexandre, qui avait déjà endossé l’uniforme de Gatchina, vint à la rencontre des princesses et leur dit de se mettre à genoux pour baiser la main du nouvel empereur. Celui-ci se tenait avec l’impératrice Marie dans la chambre à coucher de la défunte, qui fut placée sur un lit et habillée. La famille impériale assista au service funèbre, puis se rendit à la chapelle où Paul Ier reçut la prestation du serment. Ces tristes cérémonies durèrent jusqu’à deux heures du matin.

« Trois semaines après, l’empereur ordonna un service funèbre au couvent de Newsky, près du tombeau de son père. Il y assista avec toute sa famille et sa cour. On ouvrit le cercueil de Pierre III, on n’y trouva que de la poussière et des os, que l’empereur ordonna de baiser. Il fit préparer un magnifique enterrement accompagné de toutes les cérémonies religieuses et militaires, transporta le