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par les préliminaires du traité d’Abo que le grand-père de Votre Majesté serait élu pour successeur au trône de Suède, ce qui fut exécuté. Ce sont donc deux princesses de Russie qui portèrent sur le trône la ligne dont Votre Majesté est descendue et qui ouvrirent aux qualités brillantes qu’elle annonce la carrière d’un règne qui ne sera jamais trop prospère et trop beau au gré de mes vœux.

Qu’elle me permette d’ajouter avec franchise qu’il est indispensablement nécessaire que Votre Majesté se mette au-dessus des entraves et des scrupules que toutes sortes de raisons se réunissent pour écarter, et qui ne pourraient que nuire à son bonheur et à celui de son royaume.

— Je ferai plus ; mon amitié personnelle pour elle, qui ne s’est point démentie dès sa naissance, lui représentera que le temps presse et que, si elle ne se détermine pas dans ces momens si précieux à mon cœur, où elle se trouve ici, la chose pourra manquer totalement par mille empêchemens qui se présenteront de nouveau dès qu’elle sera partie, et que, si d’un autre côté, malgré les raisons solides et irréfragables qui lui ont été alléguées tant par moi que par tous ceux qui méritent le plus sa confiance, la religion doit servir d’obstacle invincible aux engagemens qu’elle a paru désirer il y a huit jours, elle peut être persuadée que dès ce moment-là il ne sera jamais plus question de ce mariage, tout cher qu’il puisse être à ma tendresse, pour vous et pour ma petite-fille.

J’invite Votre Majesté à méditer avec attention tout ce que je viens de lui exposer, en priant Dieu, qui dirige les cœurs des rois, d’éclairer le sien et de lui inspirer une résolution conforme au bien de ses peuples et à son bonheur personnel.


« Le lendemain, au feu d’artifice, il me remercia de mon écrit, et me dit qu’il était seulement fâché que je ne connusse pas son cœur. Au bal, au palais Taurique, le roi de Suède lui-même proposa à maman (la grande-duchesse Marie, mère de la grande-duchesse Alexandrine) d’échanger les bagues et de faire les promesses (fiançailles). Elle me le dit. J’en parlai au régent et nous prîmes jour pour jeudi. On convint qu’à porte close cela se ferait selon le rite de l’église grecque.

« En attendant, le traité se réglait entre les ministres ; l’article sur le libre exercice de la religion en faisait partie. Il devait être avec le reste du traité signé ce jeudi. Quand on en fit la lecture entre les plénipotentiaires, il se trouva que cet article séparé n’y était pas. Les nôtres demandèrent aux Suédois ce qu’ils en avaient fait. Ils répondirent que le roi l’avait gardé chez lui pour m’en parler. On vint me faire rapport de cet incident. Il était cinq heures du soir, à six devaient se faire les promesses. J’envoyai tout de suite