Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/879

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vétérans de l’art. Gros, Guérin, Gérard, le sculpteur Dupaty, Boïeldieu, d’autres encore étaient entrés à l’Académie lorsqu’ils avaient à peine atteint ou dépassé l’âge de quarante ans. Dès le commencement du règne de Charles X, Horace Vernet, David d’Angers, Pradier, se voyaient appelés, encore plus jeunes, à faire partie d’un corps qui venait déjà de s’attacher Ingres (juin 1825) par un acte d’autant plus hardi d’indépendance et de justice que, dans le public, les mérites du nouvel académicien étaient alors moins généralement reconnus.

Jusqu’à cette époque en effet, Ingres, raillé par les uns à la suite des expositions où ses œuvres avaient figuré, traité par les autres avec une indifférence que l’administration des Beaux-Arts semblait elle-même partager, — Ingres n’était guère apprécié à sa valeur que par un petit nombre d’hommes assez clairvoyans pour discerner ce qu’il y avait d’originalité saine dans la prétendue bizarrerie de son talent, de science robuste et de sincérité dans sa manière, qualifiée à tout hasard par les critiques du temps de « chinoise » ou de « gothique. » Le beau tableau, le Vœu de Louis XIII, exposé au Salon de 1624, avait, il est vrai, eu raison jusqu’à un certain point des distractions accoutumées de la foule et même trouvé grâce auprès des détracteurs habituels du peintre de l’Œdipe et de l’Odalisque. Toutefois, malgré ce succès relatif, Ingres n’en demeurait pas moins en dehors du groupe des artistes auxquels l’opinion attribuait une importance principale ; à peine commençait-il à n’être plus relégué dans la classe ides rêveurs ou des impuissans. En appelant à elle un peintre si peu populaire, si résolument contraire au faux classicisme jusqu’alors en honneur, l’Académie des Beaux-Arts prenait donc une initiative qu’allaient bientôt justifier de reste l’Apothéose d’Homère et le Martyre de saint Symphorien, mais qui, dans les circonstances présentes, avait tout l’à-propos d’une leçon donnée à l’esprit de routine et presque le caractère d’un coup d’état.

Par un contraste étrange au premier aspect, et qui pourrait paraître un impardonnable déni de justice si l’insuffisance des informations fournies aux juges ne l’expliquait tout naturellement, un peu avant le jour où l’Académie accueillait Ingres avec cet empressement, elle avait sans hésitation refusé de s’adjoindre un des plus grands, sinon le plus grand parmi les artistes du siècle, un maître aujourd’hui glorieux entre tous. Il s’agissait alors de pourvoir dans la section de musique au remplacement d’un correspondant étranger. La commission chargée, suivant l’usage, de dresser une liste de candidats, avait inscrit les noms de trois compositeurs italiens : Fioravanti, l’auteur de plusieurs spirituels ouvrages, parmi lesquels l’opéra-bouffe,