Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/876

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

unité de l’Adriatique si laborieusement reconstruite, et si avantageuse pour le littoral tout entier, puisque la côte opposée, de Venise à Brindisi, n’offre que peu de ressources à la navigation.

Telles sont les réflexions qui se présentaient à mon esprit pendant que je visitais la résidence de Miramar. Ce château, bâti, comme on sait, par l’infortuné Maximilien sur un promontoire de la baie de Trieste, montre de loin ses tours blanches, d’un gothique peu féroce. L’Autriche ne renonce pas facilement au décor féodal : mais c’est une féodalité souriante, accessible, qui ne rappelle en rien les prisons de Silvio Pellico. Des bois de cyprès, de camélias et d’orangers descendent jusqu’à la mer. De la terrasse, on aperçoit Trieste au fond du golfe, les premiers ports de l’Istrie, puis, à droite, l’horizon fuyant du large. Quand on est fatigué de cette contemplation, les allées couvertes, où pendent des grappes de glycine, vous offrent un promenoir frais et odorant. Une mythologie un peu timide a semé les massifs de statues un peu maigres. Jusque dans ce caprice coûteux, — car il a fallu vaincre une nature ingrate, — on retrouve les traditions de prudence et de pudeur bourgeoise particulières à la maison d’Autriche, mais aussi le sens inné de la vie intime, si remarquable chez la grande Marie-Thérèse, et cette horreur du grandiose, ce goût du joli, que sa fille, Marie-Antoinette, apporta jadis en France. On voit aussi que ces princes, après avoir si longtemps négligé la mer, se sont pris pour elle d’un amour tardif. Ils ont voulu baigner leurs pieds dans les flots. Puis, se souvenant d’une autre grande passion qui, pendant tant de siècles, a poussé leurs ancêtres vers la brune Italie, ils ont accumulé le long des balustrades, autour des escaliers de marbre, tous les parfums, tous les souvenirs de l’infidèle ; mais en même temps, ils lui tournent résolument le dos. Le château regarde l’orient. Lorsque Maximilien le fit bâtir, il venait de perdre la vice-royauté de Lombardie. Ses yeux se fixaient sur Trieste, c’est-à-dire vers l’avenir. Plût à Dieu, pour son bonheur et pour le nôtre, qu’il se fût toujours contenté de cet horizon, sans aller chercher, par-delà des mers, la couronne sanglante du Mexique !

Je doute que les membres de la famille impériale viennent souvent s’asseoir sur la terrasse de Miramar : elle leur rappelle de trop tristes souvenirs. Cependant on serait bien, dans ce lieu tranquille, pour méditer sur les destinées de la maison de Habsbourg, cette famille si favorisée d’abord, puis si maltraitée par la fortune, qui, au faîte même de la puissance et de la gloire, n’a pu se maintenir que par une vigilance infatigable et des combats continuels ; et qui, au comble du malheur, sa capitale prise, ses provinces occupées ou menacées, a déployé la plus rare constance et la