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doute, mais elle ne date pas de lui ; ce n’est pas lui qui a mis le latin sur la route où il devait arriver à la barbarie.


VIII

Il est temps de tirer une conclusion de cette longue étude. Il y en a une qui se dégage d’abord des faits qui viennent d’être exposés, c’est que la décadence de Rome, comme sa grandeur, a suivi une marche très régulière, et qu’il ne s’y produit rien de brusque et de heurté. L’histoire romaine est peut-être la plus logique de toutes, celle où les faits s’enchaînent le mieux et sortent le plus clairement les uns des autres. Comme il y a plus d’imprévu dans l’histoire des Grecs, l’imagination peut y trouver plus d’agrément ; mais la raison et le bon sens se satisfont mieux et se sentent plus à l’aise dans celle des Romains, il n’y a pas de meilleur exercice pour l’esprit que de la suivre dans ses phases diverses ; nulle part on n’aperçoit mieux le passage de la cause à l’effet et des principes aux conséquences : aussi sera-t-elle toujours un des fondemens de l’éducation de la jeunesse.

Les contemporains d’Auguste, malgré l’éclat d’un grand règne qui pouvait les abuser, s’aperçurent confusément que la décadence commençait ; ils sentaient que, selon le mot du poète, Rome ne pouvait plus soutenir sa grandeur. Ils ne se trompaient pas : on était sur le sommet, et l’on s’apprêtait à descendre. Depuis ce jour, pendant quatre siècles, on a toujours descendu. La chute a été un peu plus rapide ou un peu plus lente, elle ne s’est jamais arrêtée.

Ce qui pouvait dissimuler par momens cette décadence, c’est qu’elle ne ressemblait pas tout à fait aux autres. La plus grande misère des États qui périssent, c’est de n’avoir plus d’hommes. Rome, jusqu’à ses derniers momens, n’en a jamais manqué. Quand l’Italie fut épuisée d’en produire, les provinces lui en ont fourni, et, à la fin, elle a pris à son service des barbares qui méritaient d’être Romains. « Il vint un temps, dit Ozanam, où Rome ne se souvint plus de l’art de vaincre, mais elle n’oublia jamais l’art de gouverner. » La phrase n’est vraie qu’à moitié. Non-seulement elle a toujours su trouver des fonctionnaires habiles pour administrer le monde, mais jusqu’à la fin elle a remporté des victoires. A la veille de la prise de Rome, Stilicon avait battu Alaric ; plus tard, quand l’empire semblait tout à fait perdu, Aétius, avec une armée de Goths et de Francs qui servaient sous les aigles, a écrasé les hordes d’Attila. Ce qu’il y a de plus surprenant encore, c’est qu’à la même époque elle a eu la chance d’être gouvernée par des