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son quart, entendit une voix surnaturelle qui lui commandait de publier partout que « Pan, le grand dieu, était mort. » Ainsi fit-il ; et, tout tremblant, dès qu’il aperçut la terre, il monta sur la proue, criant de toutes ses forces : « Pan, le grand dieu, est mort ! » Il n’avait, dit Rabelais, achevé le dernier mot, quand furent entendus grands soupirs, grandes lamentations et effrois en terre, non d’une personne seule, mais de plusieurs ensemble. — Oui, Pan est mort, et les petits génies des tombes ont raison de pleurer.

Parmi tous ces monumens, je cherche les plus significatifs, ceux qui représentent le mieux l’esprit de Rome, et je rencontre d’abord à Spalato le palais de Dioclétien. Au premier coup d’œil, on n’aperçoit qu’un amas confus de constructions parasites, relié de distance en distance par des restes de colonnes, criblé de petites fenêtres, avec des fleurs et des volets verts. On sait que toute une ville s’est incrustée dans ces vieux murs, quand les habitans de Salone fuyaient devant les barbares. Depuis lors, tous les oiseaux de passage ont abrité leurs nids de hasard sous la saillie des entablemens, bouché les grandes baies qui s’ouvraient sur la mer, empâté l’élégance des chapiteaux par de fragiles raccords, transformé les anciennes galeries impériales en basse-cour, et dormi, pondu, couvé dans la chambre à coucher de César. Au dedans, c’est un labyrinthe de ruelles sordides. Un ancien corridor du palais fait une rue tout entière, avec ses façades noires, ses portes basses, ses loques pendues en travers. Une sorte de moisissure suinte de ces vieilles pierres, derrière lesquelles fourmillent les générations nouvelles. Tout ce peuple chante et rit du matin au soir, car la ville a prospéré sur son fumier. Elle a même débordé hors de l’antique enceinte, comme d’un vase trop plein. Le long des quais, dans les cafés en plein vent, elle mène un train si joyeux, elle paraît si contente d’elle-même ; elle fait, le dimanche, un si beau tapage de fanfares et de processions, qu’on croirait entendre des volées de martinets se poursuivant, avec des cris aigus, jusqu’à l’heure où ils se dispersent et s’endorment, la tête sous l’aile, dans les fentes d’un mur lézardé. Mais le soir, lorsque les bruits s’apaisent et que chacun rentre dans son taudis, alors, derrière, l’écran des masures, plus haut que ce vain décor dont les couleurs vives s’effacent peu à peu, le profil auguste du palais se dresse dans son imposante majesté. Sous les lueurs mourantes du jour, son front chenu, ses yeux privés de lumière semblent se tourner vers la mer, comme à l’époque où le vieil empereur, accoudé sur sa terrasse, regardait l’empire d’Occident descendre avec le soleil et sombrer lentement devant lui, pour reparaître au levant, sur l’horizon de Constantinople. Puis, dans l’ombre croissante, à travers le fouillis des édifices, on distingue, à droite et à gauche, les lignes