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pensant y voir la duchesse de Newcastle, qui devait venir ce soir à la cour faire visite à la reine. Toute l’histoire de cette dame est un roman, et tout ce qu’elle fait est romanesque. Ses laquais sont en habit de velours, et elle-même en costume du temps jadis, à ce qu’on dit. Elle assistait l’autre jour à la représentation de sa pièce, les Amans fantasques, la plus ridicule chose qui fût jamais écrite, mais elle et son mari ont été absolument ravis de la représentation, et elle a fait de sa loge ses complimens et remercîmens aux acteurs. Comme on s’attend qu’elle vienne à la cour, il y a quantité de gens qui s’y rendent pour la voir, comme si elle était la reine de Suède ; mais j’ai perdu mes peines, car elle n’est pas venue ce soir. » Enfin quinze jours après, le 26 avril, il parvient à l’apercevoir passant en carrosse, mais cette vision est trop rapide pour satisfaire sa curiosité. « Rencontré milady Newcastle avec ses carrosses et ses laquais tous en velours ; elle-même, que je n’avais encore jamais vue telle qu’on me l’avait souvent décrite, — car tout le monde parle aujourd’hui de ses extravagances, — avec sa toque de velours, sa chevelure tombant sur les oreilles, quantité de mouches noires sur le visage, à cause de boutons autour de la bouche, le cou entièrement nu, et un justaucorps noir. Elle m’a semblé une très aimable femme, mais j’espère la mieux voir le 1er mai. « Il n’a garde de manquer la date, mais voyez la fatalité, il ne peut pas mieux l’examiner à son aise que la fois précédente. C’est à Hyde-Park qu’a lieu la rencontre. « Nous y étions allés, et aussi presque tous ceux qui étaient là pour voir milady Newcastle, mais nous ne le pûmes, car elle était suivie et masquée par un si grand nombre de voitures que personne ne pouvait l’approcher ; tout ce que je pus voir, c’est qu’elle était dans un grand carrosse noir orné d’argent au lieu d’or, avec des rideaux blancs, tout blanc et noir, et elle là dedans avec sa toque. » Heureusement la duchesse eut l’idée de vouloir assister à une séance de la société royale, alors nouvellement fondée, et ce fut pour Pepys l’occasion désirée.

Le récit qu’il nous fait de cette visite est d’une assez amusante vivacité. « 30 mai. Je suis allé à Arundell House (le siège de la Société) où j’ai trouvé beaucoup de monde dans l’attente de la duchesse de Newcastle, qui avait désiré être invitée à une des séances de la Société, et qui l’a été après beaucoup de débats pour et contre, car il semble que bon nombre y étaient opposés, et nous croyons que la ville va être pleine de ballades à ce sujet. La duchesse arrive bientôt avec les femmes de sa suite, parmi lesquelles la Ferabosco, dont on dit tant que sa maîtresse lui recommande de bien montrer sa figure et de mettre ainsi à mort les galans. Cette