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nombreuses erreurs d’élégance et à des retards plus nombreux encore sur les modes régnantes. Elle nous dit que dus son enfance elle prit grand plaisir « aux beaux atours, aux choses de modes, surtout à celles que j’inventais moi-même, celles qui étaient inventées par les autres ne me charmant pas du tout. Je détestais qu’on suivît mes modes, car j’ai toujours eu l’amour de la singularité, même dans les choses du costume. » Et voilà pourquoi elle apparaît dans ce portrait somptueusement accoutrée plutôt qu’élégamment vêtue. Ce qui, dans la jeunesse, avait été originalité, devint, à mesure qu’elle avança dans la vie, excentricité, et prit enfin des formes caricaturales qui firent d’elle la risée des élégantes et des courtisans de la cour de Charles II. Mais cette intelligence erronée des choses du costume n’est-elle pas une imperfection inhérente à presque toutes les femmes d’esprit ; et, sur ce chapitre de la toilette, les plus vulgaires des mondaines ne retrouvent-elles pas sur elles une supériorité facile, mais incontestable ? Le turban de Mme de Staël est célèbre, et George Sand n’a jamais su s’habiller, paraît-il, avec harmonie ; il y a cependant des exceptions en tout, et nous n’avons pas besoin d’interroger bien longuement nos souvenirs personnels pour constater que le parfait bon goût dans les choses de la parure n’est nullement inconciliable avec les qualités les plus éminentes de l’esprit.

Ses dernières années d’exil s’écoulèrent dans les occupations littéraires que nous avons dites. Lorsque le retour de Charles II fat chose certaine, Newcastle fut le premier à l’aller féliciter ; mais il était, il est permis de le croire, encore plus affamé de patrie que de royauté ; car, sans attendre le départ du roi, ni retourner à Anvers, il s’embarqua précipitamment après avoir écrit à la duchesse qu’il la laissait en gage pour rassurer ses créanciers, et la chargeait de remercier à sa place l’édilité anversoise des services qu’elle lui avait rendus. Après s’être débarrassée assez aisément de ces divers soins, la duchesse partit comblée des vœux de bon voyage tant des créanciers que des édiles d’Anvers, qui lui offrirent comme cadeau de bon souvenir un petit tonneau de vin de choix. Lorsqu’elle eut rejoint son mari à Londres, son premier mot fut pour l’engager à se rendre immédiatement dans quelqu’une de leurs résidences, tant son goût de la retraite était vif, et tant sa timidité naturelle lui faisait redouter le monde, qu’elle voyait cette fois tout prêt à la saisir. Pour des raisons délicates que nous dirons en esquissant le portrait du duc, Newcastle n’avait pas besoin de bien grandes sollicitations pour accéder à ce désir de sa femme ; il alla donc présenter à son royal élève ses hommages, mais non plus ses services, lui demanda permission de s’éloigner de la cour, et