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penchant à la retraite. Et ne vous semble-t-il pas que dans la phrase que voici on découvre assez aisément ces craintes d’être négligé par l’être aimé, et ces inquiétudes jalouses qui tourmentent les cœurs vraiment épris ? « Et véritablement je suis assez vaine, assez pleine d’infatuation, assez partiale par nature à mon endroit pour penser que mes amis ont autant de raisons de m’aimer qu’une autre, puisque personne ne peut aimer plus sincèrement que moi, et que ce serait une injustice de préférer une affection plus faible ou d’estimer la beauté plus que l’esprit. » Et ce dernier trait, après s’être accusée d’être prodigue à l’occasion par vaine gloire : « Quoique je désire paraître au mieux de mes avantages tant que je vis en vue du public, je consentirais bien volontiers cependant à me séparer du monde et à ne voir jamais d’autre visage humain que celui de mon seigneur tant que je vivrais ; oui, je m’enfermerais comme une anachorète et je porterais une robe de frise avec une corde à la taille pour ceinture. » La fameuse Nut brown Maid de la ballade populaire a-t-elle jamais parlé avec plus de passion ? Disons pour faire comprendre l’étendue du sacrifice dont la duchesse se déclare capable que la recherche des vêtemens était la seule faiblesse féminine que l’on surprenne en elle.

Le cœur le plus pur a ses mystères que la raison refuse de connaître, que la conscience refuse d’excuser, et que lui-même ne s’avoue que pour les ensevelir encore plus profondément dans le secret et le silence. Difficilement la même image le remplit toujours et tout entier, et sous les noms d’amitiés, de sympathies, d’affinités intellectuelles, mille formes de sentimens subtils trouvent moyen de s’y glisser. Si la duchesse n’a pas connu l’amour amoureux, comme elle s’en vante, a-t-elle été absolument à l’abri de cette autre forme de l’amour que notre Corneille a décrit dans une tirade madrigalesque de sa Rodogune :


Il est des nœuds secrets, il est des sympathies…


Eh bien, avec tout le respect qui est du à cette vertueuse personne, il ne nous est pas prouvé qu’elle n’ait pas connu quelque chose de ce sentiment pour le plus jeune frère de son mari, sir Charles Cavendish. Vaillant Cavalier, il avait fait, sous le commandement de Newcastle, toute la longue campagne de la première guerre civile, avait quitté l’Angleterre avec lui le soir même de Marston-Moor, et fut l’intime associé de son exil dans toutes les villes où il résida sur le continent, Hambourg, Paris, Rotterdam, Anvers, jusqu’au jour où il retourna en Angleterre pour y accompagner la duchesse, désireuse d’arracher, s’il se pouvait, des griffes des Têtes rondes quelques lambeaux de la colossale fortune de