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plutôt : « Quant à nos maîtres, quoique nous eussions toute sorte de virtuoses[1] pour le chant, la danse, la musique, la lecture, l’écriture et autres choses semblables, nous n’étions pas strictement tenues à toutes ces études, qui étaient beaucoup plus pour la forme et les convenances que pour le fond et le profit ; car ma mère ne se souciait pas autant de notre danse et de notre musiquerie, de notre chant et de notre bredouillage des langues étrangères, qu’elle ne se souciait que nous fussions élevées vertueusement, modestement, civilement, honorablement et dans d’honnêtes principes. » Il est impossible de s’exprimer avec plus de dédain pour tout ce qui relève purement de l’intelligence. Ah ! que ces quelques lignes nous reportent loin de la moderne omnipotence des beaux-arts, de la prééminence des peintres, de la suprématie des musiciens et de l’apothéose des chanteurs ! Sur tous ces dons, talens, acquisitions de la culture humaine auxquels nous attachons tant d’importance, les hommes d’autrefois n’étaient pas éloignés de penser ce que Platon pensait des poètes et de la poésie : ils les flétrissaient élogieusement du nom d’arts d’agrément, et les rejetaient ensuite au second ou au troisième plan parmi les choses de jeu et de récréation qu’il est indifférent de connaître et sans profit de pratiquer. De là leur manière de comprendre l’éducation, qui était tout à l’inverse de la nôtre. Tandis qu’ils s’adressaient surtout à la conscience pour en obtenir la création de l’homme moral, nous nous croyons plus sûrs du même résultat en le demandant exclusivement à l’intelligence. Les deux méthodes ont leurs partisans, entre lesquels nous nous garderons bien de décider ; tout ce que nous nous permettrons de dire, c’est que, l’intelligence visant avant tout et presque exclusivement le vrai, et la conscience visant avant tout et presque exclusivement le bon, la question se ramène peut-être à savoir ce qui importe réellement le plus à l’ordre et au maintien des sociétés, de la connaissance du bien et du mal ou de la connaissance du vrai. Que chacun réponde à cette question selon son expérience personnelle.

Une observation avant de passer outre. Il y a un instant nous remarquions que nos doctrines philosophiques les plus modernes et les plus avancées justifiaient, à l’envi les unes des autres, la vieille opinion des régimes périmés sur la manière dont la noblesse se créait et se perpétuait ; eh bien ! malgré les différences qui nous séparent des siècles passés sur le sujet de l’éducation et la supériorité que nous accordons a l’intelligence sur toutes les autres facultés, il est curieux de constater que ces mêmes

  1. Dans le sens de gens habiles en leur métier.