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de l’ancien Balzac, ne se réimpriment pas, et à moins que Kenny n’ait oublié dans quelque chambre d’hôtel garni parisien le volume dérobé à Charles Lamb, il est douteux que beaucoup de ces in-folio se soient égarés hors de l’Angleterre. A la vérité, les connaisseurs érudits avaient depuis longtemps distingué au milieu de ces fatras deux œuvres historiques d’un intérêt considérable, une courte autobiographie enfermée dans le premier in-folio de la duchesse (1656) et la vie de son mari, William Cavendish, écrite sous la restauration, pendant ses dernières années, et publiée en 1667 ; mais ces écrits mêmes n’avaient jamais été sérieusement séparés de la masse, et un seul, l’autobiographie de la duchesse, avait obtenu les honneurs d’une réimpression grâce à une circonstance assez particulière. En 1814, un des critiques les plus distingués du premier tiers de ce siècle, sir Egerton Brydges, avait établi une imprimerie pour son usage personnel à Priory Lee, dans le comté de Kent, et son bon goût, précédant de quelques années l’enthousiasme de Charles Lamb, lui conseilla de consacrer quelques journées de ses presses à l’autobiographie de la duchesse. Il en donna donc une édition, volontairement incorrecte, par respect peut-être exagéré pour la ponctuation absolument fantaisiste de cette noble femme de lettres, et il la fit précéder de quelques pages où se révèle un jugement sûr, exercé, et surtout sans emphase, qualité rare chez les éditeurs qui se donnent pour tâche de ressusciter les morts oubliés. Cette impression que tout libraire aurait probablement refusé d’entreprendre, exécutée dans les circonstances que nous venons de dire, d’une manière toute désintéressée, sans aucune arrière-pensée mercantile, par un éditeur titré, est la première réparation qui ait été faite à la mémoire de la duchesse, hommage exactement en rapport avec le caractère et la condition d’une personne dont les choses du négoce n’approchèrent jamais. La tentative de sir Egerton Brydges ne trouva pas d’imitateurs, et sa réimpression était elle-même devenue presque introuvable, en sorte que nous désespérions de pouvoir jamais apaiser notre curiosité, lorsqu’enfin en 1872 la librairie Russell Smith réunit les deux œuvres historiques de la duchesse de Newcastle dans un des volumes de sa collection des vieux auteurs que les curieux étrangers regrettent de voir s’accroître si lentement. La loterie des chances heureuses et malheureuses existe pour les morts comme pour les vivans, et il y a des momens où les heureuses se multiplient sur tel ou tel nom littéraire, sans qu’on puisse dire pourquoi : l’année 1872 fut pour Marguerite Lucas un de ces momens là. En même temps que paraissaient ces œuvres qui nous racontent la vie des deux nobles époux, un de ces chercheurs qui rendent