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à la guerre, qu’il peut produire des saints, mais qu’il empêche de former des soldats ; il s’ensuit que, comme les États ont besoin de soldats pour se défendre, le christianisme est contraire au salut des États. Le reproche est ancien ; on le lui faisait déjà au Ve siècle, et saint Augustin, dans ses lettres, l’a discuté. Il est naturel de lui laisser la parole pour y répondre.

Voici comment la question fut soulevée :

Volusianus était un très grand personnage qui appartenait à la famille des Celonii Albini. Cette famille se flattait de descendre de ce Clodius Albinus qui prit la pourpre sous Septime-Sévère. Elle était alliée à toutes les grandes maisons de l’empire, et, par sa mère, l’empereur Julien s’y rattachait[1]. Elle était restée fidèle à l’ancienne religion, comme presque toute l’aristocratie romaine ; cependant une chrétienne y avait pénétré par un mariage, et, selon l’usage, le christianisme y était entré avec elle. La mère, tendrement aimée, avait obtenu de son époux qu’on laissât baptiser sa fille, qui fut plus tard sainte Læta ; mais le fils appartenait toujours à la religion de son père. On pense bien que sa mère et sa sœur souhaitaient ardemment l’attirer à leur foi ; il résistait par habitude, par tradition de famille, par préjugé de bel esprit et d’esprit fort. Cependant il ne put pas leur refuser d’entrer en relation avec l’évêque d’Hippone, dont elles admiraient beaucoup le génie, et il consentit à lui communiquer ses doutes. La lettre qu’il lui écrivit, et que nous avons conservée, est d’un homme du monde, qui veut paraître plus indifférent qu’il ne l’est à ces graves problèmes, et semble n’y toucher que par hasard. Il raconte qu’il s’est trouvé dans une réunion d’amis, de lettrés et de gens d’esprit, où chacun a pris la parole sur les études qui l’occupent. L’un cause de rhétorique, un autre de poésie, un troisième traite des doctrines des philosophes : ce sont des sciences dont on peut entretenir Augustin, car, dans chacune d’elles, il est un maître. Au milieu de ces conversations variées, un des assistans arrive à toucher à la religion. Il expose assez timidement ses incertitudes au sujet du christianisme ; il pose quelques questions et demande qu’on y réponde. Puis, comme Volusianus ne veut pas faire sa lettre trop longue, ce qui serait d’un homme mal élevé (les lettres courtes étaient alors à la mode), il s’arrête au milieu du chemin et laisse son ami Marcellinus présenter les objections qu’il n’a pas voulu faire. Tout cela est dit du ton dégagé d’un homme qui ne veut pas être trop sérieux, même dans des discussions graves, de peur de passer pour pédant.

  1. Je suis la généalogie que Seck a tracée de cette famille dans les prolégomènes de son édition de Symmaque.