Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/747

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme il leur plaît. Effectivement, ce n’est pas au conseil municipal que le maire rend ses comptes, c’est « au sous-préfet, qui les arrête définitivement » et lui donne décharge ; quoi que dise le conseil, la décharge est valable ; pour plus de sûreté, si quelque conseiller se montre trop récalcitrant, le préfet « peut suspendre de ses fonctions » la mauvaise tête et rétablir dans le conseil l’unanimité un instant troublée. — Au département, le conseil général « entendra » de même les comptes de l’année ; par une omission significative, la loi ne dit pas qu’il pourra les débattre. Néanmoins, une circulaire de l’an ix l’invite « à faire sur l’emploi des centimes additionnels toutes les observations qu’exige l’importance de cet objet, » à vérifier si chaque somme portée en dépense a reçu l’emploi qui lui était assigné, et même « à rejeter, en énonçant les causes de la décision, les dépenses qui ne seraient pas suffisamment justifiées. » Bien mieux, le ministre, qui est libéral, adresse aux conseils généraux un questionnaire méthodique[1] ; sur tous les objets importans, « agriculture, commerce et fabriques, hospices et secours publics, routes et travaux publics, instruction publique, administration proprement dite, tenue de l’état-civil, chiffre de la population, opinions et esprit public, » il recueille et imprime leurs observations et leurs vœux. — Mais, après l’an IX, cette publication s’arrête ; elle donnait trop d’importance aux conseils généraux ; elle pouvait rallier autour d’eux la population de leur département et même toute la France qui lit ; elle eût pu gêner le préfet, diminuer son ascendant. Désormais, c’est le préfet seul qui répond au questionnaire et dont le gouvernement publie ou analyse les statistiques[2] ; puis cette seconde publication cesse ; décidément, en matière publique, l’imprimé a toujours des inconvéniens, le manuscrit vaut mieux ; les affaires locales ne sortent plus des bureaux ; elles s’y traitent à huis-clos ; tout bruit qui pourrait retentir au-delà du cabinet du préfet et du cabinet du ministre est soigneusement amorti, étouffé de parti-pris, et, sous la main du préfet, le conseil général devient un automate.

Seul à seul avec le représentant direct de l’Empereur, il se croit avec l’Empereur lui-même ; pesez bien ces deux mots : En présence de l’Empereur ; dans la balance des contemporains, ils sont un poids incommensurable. Pour eux, il a tous les attributs de la Divinité, non-seulement l’omnipotence et l’omniprésence, mais encore l’omniscience, et, s’il leur parle, ce qu’ils éprouvent surpasse

  1. Procès-verbaux des conseils généraux de l’an VIII et de l’an IX. (La seconde série, qui a été dirigée par le questionnaire du ministre Chaptal, est bien plus complète et fournit un document historique d’importance capitale.)
  2. Statistiques des préfets (de l’an IX. à l’an XIII, environ 40 volumes).