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les campagnes, il y a peu d’hommes instruits, et, « presque toujours, c’est l’ancien seigneur qui se ferait présenter[1] ; » il ne faut pas que le gouvernement ait la main forcée, que sa faculté de choisir soit restreinte ; ainsi, pour les conseillers municipaux de cette catégorie, plus de présentation, plus de candidats préalables ; or, d’après le sénatus-consulte, la catégorie est très large, car elle comprend toutes les communes au-dessous de 5,000 âmes, partant plus de 35,000 conseils municipaux sur 36,000 ; leurs membres sont nommés d’autorité, sans aucune participation des citoyens qu’ils représentent. Restent quatre ou cinq cents communes, moyennes ou grandes, où, pour chaque place municipale, l’assemblée cantonale désigne deux candidats entre lesquels le gouvernement choisit. Voyons cette assemblée en fonctions et à l’œuvre. — Par précaution son président lui est imposé ; nommé d’avance par le gouvernement et bien instruit de ce que le gouvernement souhaite, il a seul la police de la salle et la conduite de toute la délibération. A l’ouverture de la séance, il tire une liste de sa poche ; sur cette liste, fournie par le gouvernement, sont inscrits les noms des cent plus imposés du canton ; c’est parmi eux que l’assemblée est tenue de prendre ses candidats ; la liste est exposée sur le bureau, et les électeurs tour à tour s’approchent, épellent les noms, tâchent de lire. Le président serait bien maladroit et bien peu zélé, s’il ne les aidait pas à lire, et s’il ne leur indiquait point, par un geste, un ton de voix ou même par une parole expresse, les noms agréables au gouvernement ; or, ce gouvernement qui dispose de cinq cent mille baïonnettes n’aime pas la contradiction : les électeurs savent cela et y regardent à deux fois avant de le contredire ; très probablement la plupart des noms suggérés par le gouvernement se trouveront sur leurs bulletins ; n’y en eût-il que la moitié, cela suffirait ; des deux candidats que pour chaque place ils présentent, s’il en est un agréable, c’est celui-ci qui sera nommé ; après l’avoir fait candidat, le gouvernement le fait titulaire. — Le premier acte de la comédie électorale est joué, et bientôt on ne prendra même plus la peine de le jouer. A partir de janvier 1806, en vertu d’un décret rendu par lui-même[2], c’est Napoléon seul qui directement nomme à toute place vacante dans les conseils municipaux ; désormais ces conseils recevront de lui tout leur être. Les deux qualités qui les constituent et qui devaient, selon Sieyès, dériver de deux sources distinctes, ne dérivent plus que d’une source unique. L’empereur seul leur confère à la fois la confiance publique et le pouvoir légal.

  1. Ib., p. 293, sénatus-consulte du 16 thermidor an X et arrêté du 19 fructidor an X.
  2. Décret du 17 janvier 1806, article 40.