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de la voie publique et de toutes les œuvres et bâtisses d’utilité publique[1], ruine et détresse des communes. — Par contraste et par dégoût, c’est de l’autre côté, jusqu’à l’autre extrême, que le nouveau régime se rejette, et, de démissionnaire qu’il était, l’État central, en 1800, devient intrus. Non-seulement il reprend aux sociétés locales la portion du domaine public qu’il leur avait imprudemment concédée, mais encore il met la main sur leur domaine privé, il se les rattache en qualité d’appendices, et son usurpation systématique, uniforme, consommée d’un seul coup, étendue sur tout le territoire, les replonge toutes, communes et départemens, jusque dans un néant où, sous l’ancienne monarchie, elles n’étaient jamais descendues.

Avant 1789, il y avait encore des personnes collectives, provinciales et communales. D’une part, cinq ou six grands corps locaux, représentés par des Assemblées élues, bien vivans et spontanément actifs, entre autres le Languedoc et la Bretagne, se défrayaient et se régissaient encore eux-mêmes ; les autres provinces, que le pouvoir central avait réduites en circonscriptions administratives, gardaient au moins leur cohésion historique, leur nom immémorial, le regret ou du moins le souvenir de leur ancienne autonomie, et çà et là quelques vestiges ou lambeaux de leur indépendance détruite ; bien mieux, dans ces vieux corps paralysés, mais non mutilés, la vie venait de rentrer, et leur organisme renouvelé faisait effort pour pousser le sang dans leurs veines ; sur tout le territoire, vingt et une assemblées provinciales, instituées de 1778 à 1787 et pourvues de pouvoirs considérables, entreprenaient, chacune chez elle, de gérer les intérêts provinciaux. — À la commune urbaine ou rurale, l’intérêt communal avait aussi ses représentais. Dans les villes, une assemblée délibérante, composée des principaux notables et de délégués élus par toutes les corporations et communautés de l’endroit, formait un conseil municipal intermittent comme aujourd’hui, mais bien plus ample, qui votait et prenait des résolutions dans les occasions majeures ; à sa tête était un gérant collectif, « le corps de ville », qui comprenait les divers officiers municipaux, maire, lieutenant du maire, échevins, procureur syndic, trésorier, greffier[2], tantôt élus par

  1. Rocquain, l’État de la France au 18 Brumaire, passim.
  2. Raynouard, Histoire du droit municipal, II, 356, et Dareste, Histoire de l’administration en France, I, 209, 222. (Création de charges de maire et assesseurs municipaux par le roi en 1692, moyennant finance.) « Ces offices furent tantôt acquis par des particuliers, avec titre héréditaire, tantôt réunis aux communautés, c’est-à-dire rachetés par elles, » ce qui les remettait en possession de leur droit d’élire. — À plusieurs reprises, le roi reprend ces offices qu’il a vendus et les revend de nouveau. En 1771, notamment, il les reprend et, ce semble, pour les garder définitivement ; mais il se réserve toujours la faculté de les aliéner pour de l’argent. Par exemple (Augustin Thierry, Documens sur l’histoire du tiers état, III, 319), un arrêt du conseil du roi, en date du 1er octobre 1772, accepte de la ville d’Amiens 70,000 livres pour le rachat de ses magistratures mises en office, et définit ces magistratures, ainsi que le mode d’élection d’après lequel seront nommés les futurs titulaires. — La Provence a plusieurs fois racheté de la même façon, ses libertés municipales, et, depuis cent ans, dépensé à cela 12,500,000 livres. En 1772, le roi y établit encore une fois la vénalité des offices municipaux ; mais, sur les remontrances du Parlement d’Aix, en 1774, il rend aux communautés leurs droits et franchises anciennes. — Cf. Guyot, Répertoire de jurisprudence (1784), aux articles Echevins, Capitouls, Conseillers.