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représentant de la commune et le fonctionnaire public, quand il subordonne le premier de ces deux titres au second, quand il s’arroge le droit de donner ou d’ôter, avec le second qui lui appartient, le premier qui ne lui appartient pas, quand, en pratique et sous sa main, la commune et le département cessent d’être des compagnies privées, pour devenir des compartimens administratifs. — Selon les occasions et les tentations, il glisse sur une pente ou sur l’autre, tantôt vers le renoncement qui fait de lui un démissionnaire, tantôt vers l’ingérence qui fait de lui un intrus.


V

Depuis 1789, à travers des retours et des accès intermittens de despotisme brutal, il était démissionnaire. Sous sa souveraineté presque nominale, il y avait en France quarante-quatre mille petits états presque souverains en droit, et, le plus souvent, souverains en fait[1]. Non-seulement la communauté locale gérait ses affaires privées, mais encore, dans sa circonscription, chacune d’elles exerçait les plus hautes fonctions publiques, disposait de la garde nationale, de la gendarmerie et même de la troupe, nommait les juges au civil et au criminel, les commissaires de police[2], les percepteurs et receveurs de l’impôt ; bref, l’État central lui avait remis ou laissé prendre les pouvoirs dont il ne doit jamais se dessaisir, les instrumens terminaux par lesquels seuls il opère effectivement et sur place, son épée pour la manier, sa balance pour la tenir, sa bourse pour la remplir, et l’on a vu avec quel dommage pour les particuliers, pour les communes, pour lui-même, avec quel lamentable cortège de conséquences désastreuses : anarchie universelle, persistante, incurable, impuissance du gouvernement, violation des lois, anéantissement des recettes, vide du trésor, arbitraire des forts, oppression des faibles, émeutes dans la rue, brigandage dans les campagnes, dilapidations et concussions aux hôtels de ville, usurpations ou abdications municipales, ruine

  1. La Révolution, t. Ier, passim.
  2. Il faut distinguer deux sortes de police. La première est générale et appartient à l’État : elle entreprend de réprimer et de prévenir, au dehors et au dedans, l’agression contre les personnes et les propriétés privées ou publiques. La seconde est municipale et appartient à la société locale : elle entreprend de pourvoir au bon usage de la voie publique et des autres choses qui, comme l’eau, l’air, la lumière sont communes ; elle entreprend aussi de parer aux inconvéniens et aux dangers que l’imprudence, l’incurie, la saleté ou même la simple agglomération des hommes ne manque jamais d’engendrer. — Les domaines de ces deux polices sont contigus et se pénètrent, en plusieurs points, l’un l’autre ; c’est pourquoi chacune des deux est l’auxiliaire et, au besoin, la suppléante de l’autre.