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Français profite ou nuit à l’ensemble de tous les Français. Directement et pleinement, ce qui touche une société locale n’est senti que par elle, comme ce qui touche un particulier n’est senti que par lui ; elle est close et s’appartient dans son enceinte physique, comme il s’appartient dans la sienne ; elle est donc, comme lui, un individu, un individu moins simple, mais non moins réel, un composé humain doué de raison et de volonté, responsable de ses actes, capable d’avoir des torts et de subir des torts, bref une personne morale. De fait, elle est telle, et, par la déclaration expresse du législateur qui la constitue en personne civile, capable de posséder, d’acquérir, de contracter, de comparaître devant les tribunaux : aux quatre-vingt-six départemens et aux trente-six mille communes, il confère ainsi toutes les capacités et obligations légales d’un particulier ordinaire. Par conséquent, à leur endroit, à l’endroit de toutes les personnes collectives, l’État est ce qu’il est à l’endroit d’un particulier ordinaire, ni plus ni moins ; son titre pour intervenir auprès d’elles n’est pas différent. Étant justicier, il leur doit la justice, comme aux particuliers, rien de moins ni de plus ; seulement, pour la leur rendre, il a plus à faire ; car elles sont composées et complexes ; en vertu même de son mandat, il est tenu d’entrer chez elles pour y remplir son emploi, pour y instituer la probité et arrêter le désordre, pour y protéger, non-seulement les administrés contre les administrateurs, et les administrateurs contre les administrés, mais encore la communauté, qui est perpétuelle, contre ses gérans, qui sont temporaires, pour assigner à chaque membre sa quote-part dans les obligations ou les charges et sa quote-part dans l’influence ou l’autorité, pour régler la façon dont la société devra se défrayer et se régir, pour choisir et autoriser le statut équitable, pour en surveiller et en imposer l’exécution, c’est-à-dire en somme pour maintenir à chacun son droit et faire payer par chacun son dû. — Cela est difficile et délicat ; mais, cela fait, la personne collective est, autant qu’une personne individuelle, complète et définie, indépendante et distincte de l’État ; au même titre que la personne individuelle, elle a son cercle propre d’initiative et d’action, son domaine à part, qui est sa chose privée. De son côté, l’État a le sien, qui est la chose publique ; ainsi, par nature, les deux cercles sont séparés ; il ne faut donc pas que l’un des deux ronge et empiète sur l’autre. — Sans doute, les sociétés locales et l’Etat peuvent s’entr’aider, se prêter leurs agens, éviter ainsi les doubles emplois, réduire leur personnel, diminuer leurs dépenses, et, par cet échange de bons offices secondaires, faire mieux et plus économiquement leur service. Par exemple, la commune et le département peuvent laisser à l’État le soin de