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saint Augustin qui parle) parurent s’être mis un peu trop en dehors de l’humanité ; on ne voulut pas les suivre dans leurs pénitences extraordinaires. Saint Antoine ne comprenait pas la vie monastique sans la solitude ; il disait qu’un anachorète qui sort du désert est « comme un poisson sur le rivage. » Les moines de l’Occident, au moins ceux de cette époque, restent dans le monde, pour agir sur lui. Ils choisissent quelque maison isolée, aux portes d’une ville, ou dans la ville même. Là, ils se réunissent, sous la direction d’un chef auquel ils promettent d’être soumis, mettant leurs biens en commun et vivant ensemble dans la continence et la pauvreté. Ce sont les deux vertus essentielles de la vie religieuse et qui ont fait sa force. Sans famille et sans fortune, le moine n’existe que pour sa foi. C’est en elle que se concentrent toutes ses affections. Les sacrifices qu’il lui a faits ne la lui rendent pas moins chère et moins précieuse ; au contraire : on s’attache aux choses moins par les satisfactions qu’elles donnent que par les peines qu’elles ont coûtées. Sans doute, la nature résiste, et il faut lutter contre elle ; mais cette lutte même, quand on en sort vainqueur, met l’homme en possession de toute son énergie. Que ne fera-t-il pas, s’il tourne cette énergie, qui s’est trempée par le combat et la victoire, vers le triomphe de ses idées ! Ce qui est remarquable dans ces premières règles monastiques de l’Occident, ce qui en fait le caractère essentiel, c’est le soin avec lequel on évite toutes les exagérations. Les moines doivent vivre sobrement, pratiquer le jeûne et l’abstinence, mais d’une façon raisonnable. Les excès des ascètes orientaux, qui font l’admiration des fanatiques, sont sévèrement bannis ; celui qui veut jeûner plus que ses forces le lui permettent encourt le blâme de ses supérieurs. Le même esprit de bon sens et de modération se retrouve dans la manière dont les gens sages résolurent une question qui était alors fort débattue. On se demandait, dans les couvens, si, en dehors de la prière et des bonnes œuvres, le moine doit travailler de ses mains. Quelques-uns ne voulaient rien faire, alléguant cette parole du Christ, « que les oiseaux ne sèment point, ne moissonnent point, n’entassent point dans les greniers, et que le Père céleste se charge de les nourrir ; » mais saint Augustin répondait par le mot de saint Paul : « Que celui qui ne veut pas travailler ne mange pas ; » et ce précepte devint la loi. C’est ainsi que furent constitués les premiers monastères d’Occident, avec ce mélange d’enthousiasme et de raison, de passion et de mesure, qui est dans le tempérament des gens de ce pays.

Ainsi modifiée et corrigée, l’institution nouvelle était faite pour eux et leur convenait entièrement ; elle répondait trop à leurs idées et à leurs besoins pour ne pas obtenir un grand succès. Il s’en faut