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injuste, si les droits et avantages qu’il confère ne sont pas compensés par les devoirs et obligations qu’il impose, s’il multiplie à l’excès les corvées pour les uns et les sinécures pour les autres, à la fin, le corvéable découvre qu’il est grevé au-delà de son dû : dès lors, il refuse d’ajouter lui-même et volontairement à sa charge. A d’autres, aux favoris du statut, aux privilégiés, les surcharges gratuites ; bien loin de courir au-devant et d’offrir ses épaules, il s’écarte, se dérobe, s’allège autant qu’il peut ; même il regimbe quand il peut, et rejette violemment son fardeau légal, tout impôt ou redevance ; c’est ainsi que l’ancien régime a péri. — D’autre part, si le statut retire aux intéressés la conduite du navire, si, sur ce bâtiment qui leur appartient, il installe à demeure un équipage étranger, seul commandant et agissant, alors l’homme des barques, réduit à l’humble condition de simple administré et de contribuable passif, ne se sent plus chez lui, mais chez autrui ; puisque les intrus ont toute l’autorité, qu’ils prennent toute la peine ; la manœuvre les regarde, et non pas lui ; il y assiste en spectateur, il n’a ni l’envie ni l’idée d’y donner son coup de main ; il se croise les bras, demeure oisif et devient critique. — Contre le premier défaut, le nouveau régime est en garde : plus de préférés ni de disgraciés, plus de faveurs ni de passe-droits, plus d’exemptions ni d’exclusions, plus de malversations, grattages et voleries, non-seulement dans l’Etat, mais ailleurs et partout, au département, à la commune, dans l’Église, dans les instituts d’éducation et de bienfaisance : il excelle à pratiquer la justice distributive. Le second défaut est son vice intime ; introduit par le législateur dans tous les statuts locaux et spéciaux, il a des effets différens selon les sociétés différentes ; mais tous ces effets convergent pour paralyser dans la nation la meilleure moitié de l’âme, bien pis, pour dévoyer la volonté et pervertir l’esprit public, pour transformer les impulsions généreuses en secousses malfaisantes, pour instituer à demeure l’inertie, l’ennui, le mécontentement, la discorde, la faiblesse et la stérilité.


II

Considérons d’abord la société locale, province, département ou commune ; depuis dix ans, le législateur n’a pas cessé de la violenter et de la déformer. A son endroit, il refuse d’ouvrir les yeux ; préoccupé de théories, il ne veut pas la reconnaître pour ce qu’elle est en fait, pour une société d’espèce distincte, différente de l’État, ayant son objet propre, ses limites tracées, ses membres désignés, son statut dessiné, toute formée et définie d’avance. —