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si vous en retranchiez ce quatrième acte, à la Scarron, dont on dirait en vérité qu’Hugo l’y a surajouté ? Mais, quand la vie serait ainsi perpétuellement mêlée de comique et de tragique, ce serait affaire au roman de la représenter dans sa complexité, non pas au théâtre, qui en est bien moins une imitation, à vrai dire, ou une reproduction, qu’une interprétation : parodie, comme dans le vaudeville ; satire, comme dans la comédie ; idéalisation enfin comme dans le drame. On remarquera que c’est pour cela qu’ayant fait si souvent un reproche à nos romanciers naturalistes de manquer dans le roman de pitié, d’indulgence et de sympathie, c’est pour cela que nous ne faisons point la même critique aux auteurs dramatiques, et nous ne les chicanons point sur leur affectation de pessimisme. Il ne paraît pas effectivement prouvé que la comédie ne soit pas avant tout la satire des ridicules ou des vices, et, conséquemment, qu’il ne soit pas de son essence ou de sa définition de nous peindre la nature en laid. Ne craignons donc pas de le dire : quand ils essaient de réagir contre ce genre mixte ou plutôt bâtard, dont La Chaussée, l’auteur de Mélanide'', fut l’inventeur au dernier siècle, avec sa comédie larmoyante, les jeunes gens ont raison. Et s’ils ne réussissaient un jour qu’à en débarrasser la scène française, il faut dire dès à présent que ce n’est pas un médiocre service qu’ils nous auraient rendu.

Mais s’ils parvenaient surtout, fût-ce au prix de quelques « paysanneries, » à nous débarrasser de ce « parisianisme, » dont la plupart des auteurs, depuis une vingtaine d’années, se croient obligés de faire montre, c’est encore de quoi nous ne les remercierions jamais trop. Évidemment, ce ne sera pas en traitant des sujets comme celui de Monsieur Betsy, ou comme encore, nous l’avons dit, celui de Ménages d’artistes. Aux yeux des bons juges du « parisianisme, » si cela n’est qu’à moitié parisien, cela l’est trop encore pour nous. Rien n’a plus contribué, ne contribue davantage à rétrécir le domaine du roman et celui du théâtre. Il s’agit d’emporter le suffrage du public des « premières, » ce public parisien par excellence, dont je ne dirai jamais autant de mal qu’en pensent les auteurs dramatiques eux-mêmes, auquel je conviens qu’il n’est pas facile de plaire ; mais, en revanche, à qui l’on ne plaît qu’au détriment de la nature et de la vérité. J’en faisais encore la remarque à l’Odéon, il y a plus d’un mois, et l’autre soir, au Théâtre-Libre. Chaque fois qu’il passait dans Grand’Mère un souffle de vérité vraie, — oh ! bien léger sans doute, — on sentait le public prêt à se révolter, mais, en revanche, tout ce qu’il y avait dans le Maître de plus superficiel et de moins observé, c’était précisément ce que l’on applaudissait. Avez-vous aussi remarqué ce qu’on a le plus loué de Monsieur Betsy ? C’est une scène du troisième acte, au café du Cirque, où M. Dupuis et M. Baron, à la fin d’une longue dispute, étant