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pour prolonger pendant trois actes, et ne dénouer qu’à la dernière scène, un quiproquo qui n’a de raison d’être que dans la fantaisie de M. Alexandre Bisson. C’est un problème, on le voit, et cela pourrait se mettre en équations. Puisque d’ailleurs on y rit ; puisque le rire y jaillit de la drôlerie des situations ; puisque Mlle Magnier, dans le rôle de Mme Duperron,et M. Jolly dans celui de Duperron lui-même, touchent presque à la perfection de la caricature ; et puisqu’il faut, enfin, des amusemens pour tous les goûts, nous n’avons garde de nous plaindre, et nous ne demandons point qu’on renonce à ce genre de vaudeville. Mais c’est pourtant à la condition que l’on le prendra pour ce qu’il est ; et il faut qu’on avoue qu’il n’est rien de très littéraire. — Ainsi fait-on, direz-vous peut-être. — Mais je vous réponds qu’au contraire c’est ce qu’on ne fait point ; et la réputation de Labiche en est la preuve ; Labiche, dont on met couramment la Cagnotte ou le Voyage de M. Perrichon à côté du Demi-Monde ou du Gendre de M. Poirier. Les jeunes gens ont le droit de s’en plaindre, et nous celui de nous en lamenter.

Et que veut-on qu’ils disent encore quand ils voient qu’on accueille, et qu’on applaudit même, hélas ! à la Comédie française, la Camille de M. Philippe Gille ? Oui, que veut-on qu’ils disent, et quelle confiance veut-on qu’ils aient au feuilleton lui-même du Journal des Débats, quand ils y lisent l’éloge d’une invention que sa nature destinait si manifestement au répertoire du Palais-Royal ou des Variétés ? — Qu’importe comment on s’amuse, pourvu que l’on s’amuse, nous répondent ici les amis de l’auteur, M. Pierre Véron, M. Jules Lemaître ; et, ce qui vous divertirait sur les planches du Palais-Royal, quel est ce pédantisme d’y bouder quand on vous l’offre sur la scène du Théâtre-Français ? — Mais, c’est que je doute que Camille divertisse personne, ou plutôt, quant à moi, j’y aurais volontiers pleuré l’autre soir. Une erreur sur le sexe dans la rédaction d’un acte de naissance, la vingt-septième variété des Mormons, une Américaine qui devient un Américain,.. ni la grâce mutine de Mlle Müller, ni tout le talent de M. de Féraudy, ni les mines de M. Coquelin cadet n’ont pu faire que Camille ne fût ce qu’on appelle une chose navrante. Et si j’y avais ri, je protesterais encore que ce n’est pas pour y rire de cette qualité de rire que nous donnons à la Comédie française 250,000 francs de subvention annuelle. Les plaisanteries qui peuvent être excellentes au fumoir ne le sont pas toujours dans un salon ; la qualité du rire n’est pas plus indifférente au théâtre ou en littérature que celle des manières ou de l’éducation dans la vie ; et tous les jours on voit de fort bonnes choses cesser de l’être pour la seule raison qu’elles ne sont pas à leur place. Camille n’est point à sa place à la Comédie française, et si c’est cela que les jeunes gens veulent dire, ils ont encore raison.

Je vais plus loin ; et s’ils veulent qu’il soit temps enfin d’émanciper